Chant du bossu joueur de flûte

Lettre d'un colporteur-liseur N° 25
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Lettre d'un colporteur-liseur N° 25
J'ai tout inventé pourrompre le silenceJuste une langue à boireTerre nouvellement recouvertede goudronson odeurReversd'un livresur une étagère qui va du salon jusqu'à l'égouttoirJ'ai rincé deux épis de bléet m'en suis servi comme fanions de détresse (1)
pas à pas viennent les mots leurs enchaînementsleurs enchevêtrements leurs inventions en mêmetemps que leur destructionglisser dans les anfractuosités ah piocher dansl'effacement trouver le fil qui ne rompra paschaque mot possède un silencel'écouter (2)
Mes yeux sont des kilos qui pèsent la sensualité des femmes (1)
Je sors de la pharmacieJe descends juste de la basculeJe pèse mes 80 kilosJe t'aime. (2)
Le corps de la femme est aussi bosselé que mon crâneGlorieuseSi tu t'incarnes avec espritLes couturiers font un sot métierAutant que la phrénologieMes yeux sont des kilos qui pèsent la sensualité des femmesTout ce qui fuit, saille avance dans la profondeurLes étoiles creusent le cielLes couleurs déshabillent"Sur la robe, elle a un corps"Sous les bras des bruyères mains lunules et pistilsquand les eaux se déversent dans le dos avec lesomoplates glauquesLe ventre un disque qui bougeLa double coque des seins passe sous le pont des arcs-en-cielVentreDisqueSoleilLes cris perpendiculaires des couleurs tombent sur les cuissesÉPÉE DE SAINT MICHELIl y a des mains qui se tendentIl y a dans la traîne la bête tous les yeux toutes les fanfares
tous les habitués du bal Bullier
Et sur la hancheLa signature du poète (1)
De retour du travail, j'aimais m'asseoir près du vieux monsieur qui habitait en face de chez moi. Un ancien mineur qui tirait sa chaise sur le pas de sa porte sur le coup de dix-huit heures et mangeait sa soupe et, quand il le pouvait, des chicons. Il aimait ça les endives ; il me racontait comment sa mère les préparait avec des lardons, la marmite de fonte sur la cuisinière à charbon. Son charbon ! Trente ans de coron avant de se retrouver sur cette place du Pont Delsaux à Valenciennes, appelé anciennement Le pont du saule. Il y avait là une rivière qui autrefois coulait à l’air libre, du temps de Louis XIV, me disait le vieux. Par la suite, elle a coulé sous du macadam, si bien que par grosse pluie, l’eau remontait dans les maisons. Alors, le vieux monsieur pendait son manteau à un fil qui descendait du plafond. Ça ne le changeait pas de la mine, là-bas, c'était ainsi qu'il faisait.
On l’appelait Albert.
Moi, à côté de lui, je susurrais des mots venus de la mer. De la mer du Nord et d'ailleurs. Je transformais la sueur de ma journée à l'atelier en embruns d'une mer amoureuse. Je respirais l'air du large et non pas la poussière et les copeaux de bois qui finissaient par me faire tousser. À cette époque, il n'y avait pas d'aspirateur sur les machines ; à la raboteuse, ça giclait tant et plus.
On m'a dit que des pêcheurs accrochaient eux aussi leurs cirés au plafond. Un jour, chez moi, j’ai suspendu mon bleu de travail. Mais c’était curieux, on aurait dit une chimère collée au plafond. Je l'ai descendu aussi sec. On n'invente pas le présent sans l'avoir vécu. Je n'ai jamais été mineur, ni pêcheur, juste menuisier.
Je porte un bleu de travail
même pour lire
même pour écrire
même pour sortir.
Avec Albert, on parlait surtout métier. Je racontais le métro, les rames bondées, le coup de gnôle au café avant d’attaquer le boulot, l’atelier dans le quartier Saint-Denis, les bois dans la cour. C’était un temps où je lisais le soir, mais je n'en disais rien. Lui, il racontait comment, au fond de la mine, il boisait les tunnels, les boyaux qu'il disait, avec du bois de fer. Un travail de tous les diables ! Il racontait les bruits des chariots dans le fond, le silence des hommes dans le monte-charge, les gueules noires.
Notre conversation se renouvelait : quelqu'un faisait ceci, quelqu'un faisait cela. Et quand l'un de nous se répétait, l'autre feignait de découvrir.
Yves Buin, poète du petit jour, du crépuscule, nous invite à rencontrer Quelqu’un.
C'était au temps des guitares approximatives,
du dandysme marginal,
du rêve bleu.
C'était le temps des samedis,
des matins,
de la rue de l'Ouest,
Quelqu'un cherchait sa vie dans les cafés.
Timide,
la réserve haletante,
l'illumination dissimulée,
fou intérieur,
dans l'amour de la poésie,
gaspillé,
éperdu.
Quelqu'un voulait l'aristocratie
et la pauvreté,
l'alcool nocturne de la rue d'Odessa
et la pureté d'un exil de montagne,
la sonate subtile,
et la chanson du métro,
la page glacée de la revue de luxe
et les mots jetés à la hâte sur le papier d'occasion,
la porte océane
et les pas perdus,
connaître l'au delà des réalités visibles
et se promener parmi les artistes féconds,
les écrivains
les infréquentables.
Quelqu'un était l'écho de musiques nègres,
des rejetons barbares de la nuit occidentale,
sensuels,
graveleux,
diamantifères.
Des noms couraient sur les lèvres
comme les messagers fidèles
des inoubliables mélodies,
des petits miracles,
à la cour ésotérique du roi Dionysos.
Quelqu'un était sur le bord des incertains,
dans l'espace inédit,
les émotions,
les impuissances,
les échecs,
les répétitions,
choisissant les masques,
les naïvetés,
les apparences,
pour échapper.
Quelqu'un s'occupait des grandes choses de l'esprit.
Quelqu'un attendait les révélations de l'être
et regardait du côté des initiés,
des vieilles âmes,
des regards d'Orient,
de ceux qui ne peuvent pas dire.
Quelqu'un ouvrait la porte des silences méditatifs,
et racontait la caresse trompeuse de l'exotisme,
les faiseurs embusqués de l'Ultime,
Car la vérité n'est pas chose simple
et la poésie petite affaire.
Trop s'en soucier égare.
Quelqu'un demandait son chemin. (1)
André Cohen-Aknin
(1) Quelqu’un - Quelqu’un demandait son chemin de Yves Buin. Orphée Studio, Poésie d'aujourd'hui à haute voix. Présentation et choix d'André Velter. Poésie / Gallimard.
Lettre d'un colporteur-liseur N° 21
Kabyle de la Chapelle et des quais de Javelhomme des pays lointainscobayes des coloniesdoux petit musicienssoleils adolescents de la porte d'ItalieBoumians de la porte de Saint-OuenApatrides d'Aubervilliersbrûleurs des grandes ordures de la Ville de Parisébouillanteurs des bêtes trouvées mortes sur piedau beau milieu des ruesTunisiens de Grenelleembauchés débauchésmanœuvres désœuvrésPolacks du Marais du Temple des RosiersCordonniers de Cordoue soutiers de Barcelonepêcheurs des Baléares ou bien du Finistèrerescapés de Francoet déportés de France et de Navarrepour avoir défendu en souvenir de la vôtrela liberté des autresEsclaves noirs de Fréjustiraillés et parquésau bord d'une petite meroù peu vous vous baignezEsclaves noirs de Fréjusqui évoquez chaque soirdans les locaux disciplinairesavec une vieille boîte à cigareset quelques bouts de fils de fertous les échos de vos villagestous les oiseaux de vos forêtset ne venez dans la capitaleque pour fêter au pas cadencéla prise de la Bastille le quatorze JuilletEnfants du Sénégaldépatriés expatriés et naturalisésEnfants indochinoisjongleurs aux innocents couteauxqui vendiez autrefois aux terrasses des cafésde jolis dragons d'or faits de papier pliéEnfants trop tôt grandis et si vite en allésqui dormez aujourd'hui de retour au paysle visage dans la terreet des bombes incendiaires labourant vos rizièresOn vous a renvoyéla monnaie de vos papiers doréson vous a retournévos petits couteaux dans le dosÉtrangers étrangersVous êtes de la villevous êtes de sa viemême si mal en vivezmême si vous mourez. (3)
Après la lettre N° 13 "Le rendez-vous", du nom d'un texte en prose de Guillevic, j’ai écrit dans la foulée une autre lettre sur la marche où j'évoquais les Amérindiens. Généralement, lorsque je pense à la marche, je pense à eux. Sont également apparus les Arméniens et leur exil. L’écriture de cette lettre date du 23 avril, veille de la commémoration de leur génocide.
Les Dieux se sont multipliés dans le ventre d’une chienne impotente. Je suis devenu un Indien du peuple des Eaux Bleu Vert.Tu vois, je suis vivant. Tu vois, je suis en accord avec la terre. Tu vois, je suis en accord avec les Dieux. Tu vois, je suis en accord avec tout ce qui est. Tu vois, je suis en accord avec toi. Tu vois, je suis vivant, vivant. Je vis pour voir le grand jour se lever et la lumière inonder le monde (1)
Ils avancent, ils arrivent, les voilàavec le poids du fardeau sur l'épaulel'un, le fardeau visiblecelui de la misère et de l'espoirtenu serré dans les mainspetits effets, petits outilset nécessaire de la vie quotidiennel'espirto et le djezvéle kork ou le khalill'autre, l'invisible fardeau, l'immensecelui des larmes et de la peurtenu serré sur le cœuravec le poids de ce qui fut perdu et à jamaisavec l'amour de ceux qu'on a perdus et à jamaisSans khatchkar, ni sépulturele fardeau de la mémoirecelui des massacresde l'indicible tchar'ttoujours à fleur de peauà fleur de cœurle fardeau du silencequi tient la langue clouée au palaisle chagrin cloué au regard… (2)
Quand tu esmal à l'aise danston cœur,va marcher.Fais toutce qui doitêtre fait.Marche,le mal te quittera.Marche seul,dans les collinesdans les montagnes.Sois fortdans ton cœur,rien ne dureéternellement. (3)
Écoute plus souventLes choses que les êtres,La voix du feu s'entend,Entends la voix de l'eau.Écoute dans le ventLe buisson en sanglot :C'est le souffle des ancêtres.
Ceux qui sont morts ne sont jamais partisIls sont dans l'ombre qui s'éclaireEt dans l'ombre qui s'épaissit,Les morts ne sont pas sous la terreIls sont dans l'arbre qui frémit,Ils sont dans le bois qui gémit,Ils sont dans l'eau qui coule,Ils sont dans l'eau qui dort,Ils sont dans la case, ils sont dans la fouleLes morts ne sont pas morts. (1)
Écoute plus souventLes choses que les êtres,La voix du feu s'entend,Entends la voix de l'eau.Écoute dans le ventLe buisson en sanglot :C'est le souffle des ancêtres.
Le souffle des ancêtres mortsQui ne sont pas partis,Qui ne sont pas sous terre,Qui ne sont pas morts.Ceux qui sont morts ne sont jamais partis,Ils sont dans le sein de la femme,Ils sont dans l'enfant qui vagit,Et le tison qu'il s'enflamme.Les morts ne sont pas sous la terre,Ils sont dans le feu qui s'éteint,Ils sont dans le rocher qui geint,Ils sont dans les herbes qui pleurent,Ils sont dans la forêt, ils sont dans la demeure,Les morts ne sont pas morts.
Écoute plus souventLes choses que les êtres,La voix du feu s'entend,Entends la voix de l'eau.Écoute dans le ventLe buisson en sanglot :C'est le souffle des ancêtres.
Il redit chaque jour le pacte,Le grand pacte qui lie,Qui lie à la loi notre sort ;Aux actes des souffles plus fortsLe sort de nos morts qui ne sont pas morts ;Le lourd pacte qui nous lie à la vie,La lourde loi qui nous lie aux actesDes souffles qui se meurent.Dans le lit et sur les rives du fleuve,Des souffles qui se meuventDans le rocher qui geint et dans l'herbe qui pleure.Des souffles qui demeurentDans l'ombre qui s'éclaire ou s'épaissit,Dans l'arbre qui frémit, dans le bois qui gémit,Et dans l'eau qui coule et dans l'eau qui dort,Des souffles plus forts, qui ont prisLe souffle des morts qui ne sont pas morts,Des morts qui ne sont pas partis,Des morts qui ne sont plus sous terre.
Écoute plus souventLes choses que les êtres… (1)
Nombre de médecins et de chercheurs essaient de neutraliser le covid 19. Un virus dont il faut craindre les soubresauts dès qu'on met le nez dehors.
Avec soubresaut, on entend : saut périlleux, secousse, obstacle imprévu, convulsion, on gambade, on joue les acrobates, on se méfie du saut du postillon, on considère le saut dans l'inconnu et dans celui dans l’immobilité, on réfléchit à deux fois avant de sauter à la corde dans un appartement à cause des voisins. Ce mot devient effrayant quand il s’agit de choisir de ventiler un malade plutôt qu'un autre. J’aime le saut du coq à l’âne et le saut dans les histoires drôles, l'humour est un bon remède à la déprime. Quant au saut dans l'écran pour embrasser un ou une inconnue, je ne l'ai pas encore expérimenté. Cette semaine, j'étais occupé par le saut d'un tabouret après avoir changé la lampe du plafonnier (trois fois, il doit y avoir un problème de branchement). Mon saut préféré est le saut à pieds joints une biscotte entre les dents. Je compte les fois où elle tombe côté confiture.
Vous en connaissez certainement d'autres. Si vous avez envie de les partager…
Soubresaut est construit à la manière de sursaut, à cause de soubre qui vient de sobre, "par-dessus, sur", du latin "super" et de saut, espagnol salto, du latin saltus". Merci Alain Rey (1).
Sursaut, voilà un mot qui convient à notre situation. Alors, sautons, sursautons, soubresautons dans la recherche, mettons en pièces ce virus (il paraît que c'est une chose très compliquée). Le champ est immense : médocs, vaccins, pistes informatiques, transformation de masques de plongée en respirateurs et de rêves de marins confinés en projets bien réels. Chacun, chacune apporte sa contribution. C’est parfois une histoire de bricolage.
Permettez moi de vous présenter celle de Boris Vian. Elle parle d'une autre époque, mais sa considération sur le rayon d'action pourrait nous être utile.
C'est une java. Musique !
Mon oncle un fameux bricoleur
Faisait en amateur
Des bombes atomiques
Sans avoir jamais rien appris
C'était un vrai génie
Question travaux pratiques
Il s'enfermait tout' la journée
Au fond d'son atelier
Pour fair' ses expériences
Et le soir il rentrait chez nous
Et nous mettait en trans'
En nous racontant tout
Pour fabriquer une bombe "A"
Mes enfants croyez-moi
C'est vraiment de la tarte
La question du détonateur
S'résout en un quart d'heur'
C'est de cell's qu'on écarte
En c'qui concerne la bombe "H"
C'est pas beaucoup plus vach'
Mais un' chos' me tourmente
C'est qu'cell's de ma fabrication
N'ont qu'un rayon d'action
De trois mètres cinquante
Y a quéqu'chos' qui cloch' là-d'dans
J'y retourne immédiat'ment
Il a bossé pendant des jours
Tâchant avec amour
D'améliorer l'modèle
Quand il déjeunait avec nous
Il dévorait d'un coup
Sa soupe au vermicelle
On voyait à son air féroce
Qu'il tombait sur un os
Mais on n'osait rien dire
Et pis un soir pendant l'repas
V'là tonton qui soupir'
Et qui s'écrie comm' ça
A mesur' que je deviens vieux
Je m'en aperçois mieux
J'ai le cerveau qui flanche
Soyons sérieux disons le mot
C'est même plus un cerveau
C'est comm' de la sauce blanche
Voilà des mois et des années
Que j'essaye d'augmenter
La portée de ma bombe
Et je n'me suis pas rendu compt'
Que la seul' chos' qui compt'
C'est l'endroit où s'qu'ell' tombe
Y a quéqu'chose qui cloch' là-d'dans,
J'y retourne immédiat'ment
Sachant proche le résultat
Tous les grands chefs d'Etat
Lui ont rendu visite
Il les reçut et s'excusa
De ce que sa cagna
Etait aussi petite
Mais sitôt qu'ils sont tous entrés
Il les a enfermés
En disant soyez sages
Et, quand la bombe a explosé
De tous ces personnages
Il n'en est rien resté
Tonton devant ce résultat
Ne se dégonfla pas
Et joua les andouilles
Au Tribunal on l'a traîné
Et devant les jurés
Le voilà qui bafouille
Messieurs c'est un hasard affreux
Mais je jur' devant Dieu
Qu'en mon âme et conscience
Qu'en détruisant tous ces tordus
Je suis bien convaincu
D'avoir servi la France
On était dans l'embarras
Alors on l'condamna
Et puis on l'amnistia
Et l'pays reconnaissant
L’élut immédiat'ment
Chef du gouvernement (2)
(1) Le Robert, Dictionnaire historique de la langue française, sous la direction d'Alain Rey. - (2) Boris Vian / Alain Goraguer (musique), La java des bombes atomiques. Chez Phillips, 1955.
André Cohen-Aknin (AAKC)
Lettre d'un colporteur-liseur N° 12