Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

ardèche

  • Chant du bossu joueur de flûte

    Lettre d'un colporteur-liseur N° 25
    "Chant du bossu joueur de flûte" de André Cohen Aknin
    Œuvres citées : Poème des Indiens Hopi, Salut à Walt Withman de Fernando Pessoa.
     
     
    Chant du bossu joueur de flûte.jpg
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
    Quitana-po, quitana-po, quitana-po
         quitana-Po !
    Ai-na, qui-na-oueh, qui-na-oueh
    Tchi-li li-tcha, tchi-li li-tcha
    Don-ca-va-qui, mas-i-qui-va-qui
    Qui-ve, qui-ve-na-meh
    HOPET ! (1) 
     
    Depuis que j'ai mis en bouche une à une les syllabes du "Chant du bossu joueur de flûte", je n'arrive pas à m'en défaire. Et c'est tant mieux. Ça m'apporte un peu de joie dans ces matins où la radio nous assomme de chiffres du fait de l'épidémie et de l'économie défaillante.
     
    Quitana-po, quitana-po, quitana-po
         quitana-Po !
    Quitana-Po !
     
    Comme un talisman face à la morosité.
     
    Tiens, je respire un peu mieux. J'arrive à souffler dans ma flûte - mon corps - le souffle est court, un roucoulement. Je deviendrai une tourterelle à succès sur une chaîne youtube le jour où mon petit-fils me donnera le feu vert.
     
    Ai-na, qui-na-oueh, qui-na-oueh
    Tchi-li li-tcha, tchi-li li-tcha
     
    Une information sur le terrorisme - hop le chant du bossu - Une information sur des élections - hop le chant du bossu. 
    L'idée est de ne pas sortir du monde, mais bien au contraire de le pénétrer au plus profond, en faisant résonner un chant ancien. Un chant des origines. "Le chant du bossu joueur de flûte" est un poème des Indiens Hopi. Une poésie à part entière. Parce que "la poésie, à l'instar du langage, existait de partout", depuis toujours, "aussi puissante & même aussi complexe … que dans ses développements les plus tardifs". "Elle n'apparaissait pas comme un luxe, mais comme une véritable nécessité"(2). 
    Pour un temps, nous n'avons que faire du regard occidental et de cette actualité. Laissons parler nos tripes. 
     
    Don-ca-va-qui, mas-i-qui-va-qui
    Qui-ve, qui-ve-na-meh
    HOPET !
    HOPET !
    HOPET !
    HOPET !
     
    Avec HOPET ! on entend hourra ! C'est vrai que nous attendons avec impatience un vaccin, comme la panacée, la chose qui réglera tout. Mais n'est-ce pas un leurre ? Guérir n'est pas effacer, mais vivre avec. Ne rien oublier. Comme revenir au premier chant, à cette première écriture dans le souffle de son ancêtre. 
     
    À LA JOIE AUSSI.
     
    Pour cela, il faudrait pouvoir s'arrêter, s'isoler, revenir vers soi, trouver le temps de se rattraper avant le coucher du soleil, comme dit le proverbe, avant de repartir de plus belle dans le quotidien. C'est ce qu'a fait mon ami Serge, un ancien légionnaire, qui a séjourné à Damas, avant de s'installer dans la Drôme et en Ardèche dans un vieux fourgon. Il n'a pas fait les choses à moitié cet indien. "Il me fallait me rassembler, a-t-il écrit, je venais de si loin… Je n'ai rien trouvé de mieux, que de passer cinq ou six ans à vivre dans un fourgon, complètement isolé, sans même une radio…". Un homme qui avait le plaisir du verbe. Lorsque nous nous retrouvions, c'était une farandole, nous jouions avec les mots. Il était probablement à la recherche de son chant. Il l'a peut-être entendu, puisqu'il est sorti de son fourgon. Je l'ai vu surgir la tête enneigée un soir de lecture avec des amis, en décembre 2007. Il venait de sortir de son isolement.
    Joie des retrouvailles et promesse de nous revoir. Hélas trois semaines plus tard, un automobiliste l'a percuté et tué sur une route à trois voies.
    Il ne m'a pas parlé de son dernier chant, mais en entendant "Le chant du bossu joueur de flûte", j'ai su que c'était lui.
     
    Quitana-po, quitana-po, quitana-po
         quitana-Po !
    Don-ca-va-qui, mas-i-qui-va-qui
    Qui-ve, qui-ve-na-meh
    HOPET ! 
    HOPET !
     
    *
     
    Avec Serge, nous parlions parfois très tard dans la nuit. Il nous fallait notre quota de mots. J'avais peur que ce sentiment de liberté ne résistât pas au matin. Alors, je n'avais pas les mots de Fernando Pessoa qui, à la lecture du poète américain Walt Whitman avait écrit "Ode maritime et autres poèmes", mais je les espérais, comme un corps qui donne un son profond, un son de flûte, un son d'avant les mots.
     
    Ouvrez toutes les fenêtres !
    Arrachez toutes les portes !
    Tirez la maison entière par-dessus moi !
    Je veux vivre libre dans les airs,
    Je veux avoir des gestes en dehors de mon corps,
    Je veux courir comme la pluie le long des murs,
    Je veux être foulé comme des pierres sur les routes,
    Je veux aller, comme une chose lourde, jusqu'au fond des mers,
    Avec une volupté qui est déjà loin de moi !
     
    Je ne veux pas de serrures aux portes !
    Je ne veux pas de fermetures aux coffres !
    Je veux m'intercaler, m'immiscer, être emporté… (3)
     
    (1) Chant du bossu joueur de flûte, Indiens Hopi. Les techniciens du sacré, anthologie de Jérôme Rothenberg. Version française par Yves di Manno. José Corti Editeur. 2007.
    (2) Pré-face de l'édition révisée (1984). Les techniciens du sacré.
    (3) Salut à Walt Whitman, extrait, Fernando Pessoa (Alvaro de Campos). Tiré de Ode maritime et autres poèmes. Editions Orphée / La différence. © Editions Christian Bourgois pour le poème Salut à Walt Whitman

  • Hélène Cadou

    La poète Hélène Cadou nous a quittés à 92 ans en juin 2014.

    Je l'avais rencontrée en Ardèche à Privas en 1982. Elle était venue de sa Loire-Atlantique, invitée par Paul Vincensini. Une femme discrète et attachante. Elle a lu sa poésie qui puise sa source dans celle de René-Guy Cadou disparu trente ans plus tôt. Elle est dans l'espace de l'amour indéfectible et dans l'attention au monde.

    "dans les étages

    quelqu'un m'appelle

    mais je n'ai pas encore de nom

    je marche vers toi

    sur les feuilles mortes

    de la nuit"

     

    "la vie

     aura goût de pomme

    et la parole

    ton visage

     

    j'ai mis ma fenêtre

    au-dessus

    du fleuve

    pour le voyage"                   

    Nous avons continué la soirée dans une ferme auberge ardéchoise. Nous étions une vingtaine assis à une grande table. Une autre table était occupée par des architectes. A la fin du repas, Monique Domergue, poète, pour rendre hommage à notre invitée, s'est levée et de sa voix bien timbrée a lu un poème. D'autres lecteurs tour à tour ont fait vibrer les mots d'Hélène. Les conversations à la table voisine se sont tues et les architectes se sont mis à l'écoute de la poésie. Soirée d'échanges entre deux univers.

    Ensuite, j'ai eu quelques échanges épistolaires avec Hélène Cadou, en particulier en 2002. J'avais proposé la présence de ses poèmes à l'exposition organisée par Michel Rouquette à Privas : "Fenêtre sur mots". Je revois son écriture élancée où elle disait me faire confiance pour le choix des textes à présenter.

    "Il faut revenir pas à pas

    Vers la seule fenêtre ouverte

    L'avenir est là

    Comme un enfant qui rit.

    Il reste assez de jour

    Pour guérir une forêt

    Assez d'arbres

    Pour croire à l'aurore

    Un grand coup de ciel sur ta vie

    A fait le monde pur

    Comme un drap gonflé par le vent."

    C'est toujours avec plaisir et émotion que nous disons les poèmes d'Hélène Cadou au cours de nos lectures. Simplicité apparente des mots, alliances surprenantes. Une clarté traverse le temps, laisse entrevoir la fragilité de la vie et la grâce de l'instant.

     Geneviève

    Les poèmes cités sont extraits de "L'innominée" et de "En ce visage l'avenir" et sont publiés aux éditions Jacques Brémond