Voici ce que j'avais projet de lire en préambule lors de la table ronde "dire avec la voix, dire avec la plume" des "27 heures chrono" Baz'Art des Mots (2014). Faute de temps, le débat n'eut pas lieu. Ce n'est que partie remise, j'espère. On me demandait un avis tranché. Le voici :
Je pense que dans ce monde où l'actualité nous parvient comme un tourbillon, nous manquons cruellement de silence.
Le silence appartient au processus de la parole comme il appartient à la musique. Indispensable.
On peut comparer le silence au vide de l'univers, la voix aux étoiles et aux planètes. Le silence est un immense champ de découverte. Il est un renouvellement de la parole pour qu'elle devienne audible.
Parole et silence semblent des contraires, alors que l'un possède l'autre comme le Yang et le Yin sont réunis en chaque partie du corps, en chaque chose. Le lien est constant. Un peu comme au théâtre où les "contraires" provoquent le mouvement. Rien n'est statique, rien n'est acquis. Un peu aussi comme la décroissance, dont on parle aujourd'hui, qui n'est pas la négation de la croissance mais son renouvellement. Le silence est source de renouveau pour la parole parlée et écrite. Donner un sens à l'un donne un sens à l'autre.
Le silence comme viatique à la fête, à la pleine possession du corps. C'est aussi un temps où l'on apprend à parler avec la voix de la terre.
Le silence comme époux de la parole. "La poésie, ce sont les noces de la paroles et du silence", nous dit Guillevic.
Transversalité de la parole et du silence, comme oralité et écriture, corps, espaces, matières. Des lieux sans frontières.
Je propose de fomenter des silences, jusqu'à l'insurrection ! Créons des brigades de silence !
Le silence comme un rêve de l'autre. Aucune rencontre n’est anodine. C’est “l’autre” qui te métamorphose. Aller à sa rencontre, c’est aussi aller à la rencontre de soi, trouver la source d’une renaissance, inventer le temps qui reste.
Offrons-nous ces moments. Partageons-les comme on partage un repas. D'autres paroles viendront ensuite, naturellement.
Jusqu'à la débandade.
Aux mots du poète Alain Borne "Je pense que tout est fini qui retenait la toile / Je pense qu'il reste dorénavant surtout à mourir". Ce qui, ici, retient la toile est pour moi le silence. Je préfère ceux pleins de vie et de fougue de Blaise Cendrars "Quand je pense, je suis un animal en rut qui se vautre la verge haute stupide vers le futur. Quand je pense, je suis la débandade effrayée des sons d'une symphonie, la débandade de l'harmonie et du silence".
Je termine ce préambule avec Philippe Jaccottet : "Le travail du poète est de veiller comme un berger et d'appeler tout ce qui risque de se perdre s'il s'endort".
André Cohen Aknin, juin 2014