Ce "presque rien" me rappelle Francis Jammes, son poème Prière pour avouer son ignorance :
"Je ne sais rien. Je ne suis rien. Je n'attends rien
que de voir, par moment, se balancer un nid
sur un peuplier rose, ou, sur le blanc chemin
passer un pauvre lourd aux pieds luisants de plaies…"
Restons humbles. C'est parce qu'on a en tête que tout peut disparaître qu'on peut survivre. Il y a quelque chose de mystique dans cette poésie-là. Le renoncement mène à la lumière.
Cependant, entre les mots et le corps, subsiste un décalage, un doute - après tout, Louise Glück n'est qu'un être humain. Elle cherche le courage, une preuve. Cela prendra un temps infini.
Cette preuve, nous l'attendons tous, histoire de s'accrocher à quelque chose de plus "grand", en sachant pertinemment qu'elle ne viendra pas. La lumière est là à notre portée. Peut-être au seuil d'une phrase, alors qu'on se met à guetter chaque mot, chaque signe et à écouter les silences. J'aime m'attarder sur les virgules, ces êtres frêles et si résistants. Leurs respirations sont si changeantes, qu'il faut, à chaque fois, fredonner la phrase entière pour se rapprocher de la musique qu'on a imaginée au début.
C'est une chose terrible que de survivre
comme conscience
enterrée dans la terre sombre. (7)
La simple conscience ne suffit pas. Il nous faudra remonter vers la source, au rythme de la prière et du regard, puis s'immobiliser, être prêt à recevoir.
Je voulais demeurer ainsi,
immobile, comme le monde ne l'est jamais,
pas au cœur de l'été mais l'instant précédant
l'éclosion de la première fleur, l'instant
où rien ne s'est encore passé - (8)
Elle est si surprise de se voir vivante.
Je ne m'attendais pas à survivre,
me réveiller de nouveau, sentir
dans la terre humide mon corps
…
apeuré, oui, mais à nouveau parmi vous
à pleurer, oui, risquer la joie
dans le monde cru du nouveau monde. (9)
OUI, RISQUER LA JOIE. C'est ce qu'elle nous invite à faire.
Il me tarde de plonger dans l'autre recueil “Nuit de foi et de vertu” paru en même temps.
La traduction de Marie Olivier, sobre et fluide, nous invite à entendre la musique de la poète. Le texte en américain est en regard sur l'autre page. On peut y plonger à tout moment et, ainsi, garder le tempo original. Les deux langues s'accordent entre mots et corps. Mais Marie Olivier s'efface devant la poésie de Louise Glück dont le souffle est là, profond, qui nous emporte.
André Cohen Aknin
(1) "L'iris sauvage" de Louise Glück, Editions Gallimard, Mars 2021
Traduction et préface par Marie Olivier
(2) Le jardin
(3) Fin de l'été
(4) Vêpres
(5) Moisson
(6) Scilla
(7) L’iris sauvage
(8) Au seuil de la porte
(9) Perce-neige