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Ecriture - Page 3

  • Agenda Lectures Rencontres

    • 25 février - Librairie Les Cordeliers à Romans-sur-Isère - 19h 
    Rencontre lecture "Un lit dans l'océan" par André
     
    •  11 mars - Médiathèque de Montélimar Agglomération - 18h
    Lecture sur scène - Rencontre "Un lit dans l'océan" par André 
     
    • 26 Mars - Savasse - 14h
    Balade poétique "Chemin faisant", par André, Geneviève et Naïs
     
    • 31 mars - Librairie L'étincelle à Valence - 19h
    Rencontre lecture "Un lit dans l'océan" par André
     
    • 9 avril  - Librairie Le Baz’Art des Mots à Hauterives - 19h30
    Rencontre lecture "Un lit dans l'océan" par André & "D'azur et de feu" par Geneviève
     
    • 30 avril - Condillac - 14h
    Balade poétique "Chemin faisant", par André, Geneviève et Naïs
     
     
    CHEMIN FAISANT, balade poétique
    Par les colporteurs-liseurs André Cohen Aknin, Geneviève Briot et Naïs
    Marcher dans un village, voir un papillon virevolter, des pierres danser, un enfant rire. Entendre les poèmes résonner entre terres et langues et chevaucher le vent vers un autre angle du ciel.
     
    UN LIT DANS L'OCEAN, roman
    de André Cohen Aknin, Edition Parole, Coll. Regard d'homme. 2021
    Cela commence par la préparation de la loubia, une soupe aux parfums d'enfance. Une manière pour un fils de se rapprocher de sa mère, une vieille femme juive d'Algérie atteinte par la maladie d'Alzheimer. Démuni par les silences, les phrases éclatées, les mots qui se délitent, il tente cependant de la rejoindre dans son univers fantomatique. Apparaissent alors des saveurs de cuisine, des notes de musique arabo-andalouse, des pleurs, des rires…
    Toute vie même en délitement est source de créativité, dit-il.
    Ce livre est un roman d’amour.
     
    D'AZUR ET DE FEU, sept visages de Josette Duc, récit
    de Geneviève Briot. 2020 Bleu 31
    Sur un chemin poétique, Josette Duc danse, chante, parcourt le monde, poussée par une curiosité insatiable, par son "goût des autres". Le cœur sur la main et en quête de spiritualité, elle trace un chemin original. 

  • Lectures "Un lit dans l'océan"

    UN LIT DANS l’OCÉAN
    André Cohen Aknin
    Editions Parole, 2021
    Collection Regard d’homme
     
    Prochaines lectures rencontres par l’auteur à la :

    • Librairie Les Cordeliers à Romans-sur-Isère, le 25 février à 19h
    • Médiathèque de Montélimar Agglomération, le 11 mars 19h
    • Librairie L'étincelle à Valence, le 31 mars
    • Librairie Le Baz’Art des Mots à Hauterives, le 9 avril 

    Cela commence par la préparation de la loubia, une soupe aux parfums d'enfance. Une manière pour un fils de se rapprocher de sa mère, une vieille femme juive d'Algérie atteinte par la maladie d'Alzheimer. Démuni par les silences, les phrases éclatées, les mots qui se délitent, il tente cependant de la rejoindre dans son univers fantomatique. Apparaissent alors des saveurs de cuisine, des notes de musique arabo-andalouse, des pleurs, des rires…

    A. COHEN AKNIN •.jpeg

    "Dégusté comme une datte sucrée, un thé à la menthe, ce texte cristallise nos 5 sens : les goûts, les couleurs, les odeurs, les musiques, les cultures juives et musulmanes si proches. La délicatesse et la pudeur avec lesquelles l'auteur aborde des thèmes pourtant difficiles (les césures familiales, la maladie, la guerre...) font de cette lecture un incroyable voyage." (Nath2dragui - site Babelio) 

    "Entre Orient et Occident, entre terre et mer, entre mère et fils, enfance et vieillesse, entre rêve et réel... Il m’a surprise, saisie, désarçonnée, sans pour autant me lâcher... C’est une curieuse traversée au cours de laquelle le lecteur respire le monde et la vie par petites touches. Des touches colorées et rapides qui créent une œuvre indéfinissable, insaisissable, quasi impressionniste..." (Anne-Marie (Facebook, repris sur le site de Parole)

    "L’histoire de Juliette pourrait être une sorte de métaphore de ce qui s’est passé dans l’histoire de l’Algérie il y a quelques décennies, un engloutissement dont pourtant, sous une forme presque inaudible, on trouve ici ou là des remontées aussi saisissantes qu’inespérées. Le récit poétique d’André Cohen Aknin ne cherche pas à en faire la théorie, il n’en est que plus convaincant. (Denise Brahimi, Lettre culturelle franco-maghrébine #57 - site de coup de soleil Rhône-Alpes) 

    Editions Parole : https://www.editionsparole.fr

    Les premières lignes de "Un lit dans l'océan : https://vimeo.com/548157291

    Interview Edition Parole : https://vimeo.com/574063653

    France Alzheimer : https://radiofrancealzheimer.org/broadcast/1237-Un-lit-dans-l-oc%C3%A9an-un-roman-comme-acte-d-amour-d-un-fils-pour-sa-m%C3%A8re

    Article de Denise Brahimi : https://www.coupdesoleil-rhonealpes.fr/lettre-culturelle-franco-maghrebine-57

  • Parce que c'étaient eux, parce que c'était moi

    Lettre d'un colporteur-liseur N°35
    "Parce que c'étaient eux, parce que c'était moi" de André Cohen Aknin
    Les textes cités sont tirés de L'hébreu biblique en 15 leçons de Sophie Kessler-Mesguich, L'Alphabet expliqué aux enfants de Marc-Alain Ouaknin, Olivetti 82 de Eriek Verpale, Propos de vieilles femmes - VI et VIII, de Monique Domergue.
     
    À Serge, Bernard, Lionel, Pascal
     
    J'avais écrit une lettre d'un colporteur-liseur en septembre 2020, dédiée à Serge Bigoulet, un ami qui buvait les mots, sans jamais pouvoir s'en rassasier, jusqu'à les transformer en silence, puisqu'il devint ermite. Je n'avais pas diffusé cette lettre. J'avais le pressentiment qu'il me fallait attendre. Quoi ? Le corps me parlait et je devais l'écouter. J'écris ainsi des lettres que je laisse reposer dans une espèce de sas mental.
    Cette lettre attendait la mort, le mois dernier, de Bernard Vandewiele, cet autre ami, lui aussi ivre de liberté, amoureux de la langue et des livres.
    La rencontre entre les deux hommes, car elle eut vraiment lieu, s'est déroulée fort curieusement. Avec Bernard et Serge, les choses devenaient "mystiques" à force de hasard, d'étonnement et de luminosité.
    C'était en décembre 2012, Impasse Pâme à Romans-sur-Isère. Une soirée en présence d'un public. Bernard voulait savoir comment un homme et une femme pouvaient vivre ensemble et écrire ? Cette question était devenue une énigme pour lui. Il lui fallait la mettre en scène pour la saisir. L'occasion de nous interroger Geneviève et moi sur notre cheminement, notre vie en écriture.
    Nous étions une vingtaine dans une petite salle. Deux autres amis étaient parmi nous : la poète Monique Domergue et le metteur en scène Juan Antonio Martinez. La soirée était pleine, joyeuse, avec ses agapes de mots, ses regards, ses verres servis et resservis. C'est alors que Serge arriva, comme tombé d'un ciel de neige, attardé par les routes ardéchoises. Nous ne l'avions pas revu depuis des années. On nous avait dit qu'il était mort, alors qu'il vivait au fin fond de l'Ardèche. Je ne sais plus comment Serge avait su que nous étions invités Geneviève et moi à parler de nous. Explosion de joie et de surprise.
    Bernard et Serge ne se connaissaient pas, mais ils se reconnurent, même si l'un était un ancien légionnaire et l'autre, un antimilitariste.
     
    Pourquoi nous retrouver impasse Pâme ? La réponse est venue un mois plus tard. Serge est mort sur une route d'Ardèche, peu de temps après cette rencontre de décembre 2012. Il avait choisi (choisit-on vraiment ?) de nous dire adieu chez Bernard.
    Cela ne m'étonne guère. Bernard savait le lien étroit qui existe entre les mots et les corps, la vibration qui court jusque sur les tempes, ce fil invisible qui fait aller de l'un vers l'autre.
    "Parce que c'était lui parce que c'était moi", disait La Boétie à l'égard de son ami Montaigne.(1) Je le dis pour mes amis : parce que c'étaient eux, parce que c'était moi.
    Serge et Bernard aimaient les mots, les livres et ils étaient libres, profondément, ardemment, férocement même.
    Se joignent à eux dans mon esprit deux amis disparus : Lionel Huilié qui, à force de douceur et de patience, m'avait appris à sourire et Pascal Cappuccia, le pianiste qui savait harmoniser les mots et les sons, donner à sa musique une tournure si rythmée, si gaie parfois, en contrepoint de son mal-être.
     
    Curieusement encore, Pascal était en relation avec Bernard, même s'ils ne s'étaient jamais vus, ni jamais parlé. Bernard en tant que thérapeute suivait Dante, un enfant qui vivait en foyer, et cet enfant est le fils de Pascal. Le garçon avait peu connu son père et Bernard qui voulait le lui faire connaître, découvre un jour par une coupure de presse que j'avais donné avec Pascal un récital de poésie musique.(2) Geneviève avait, de son côté, tourné des spectacles avec lui.(3) Bernard nous avait alors réunis avec Dante : nous avions tant à lui dire sur son père !
     
    Comme les choses et les êtres s'entremêlent ! Je vis en Africain, il n'y a pas de frontières entre la vie et la mort, aucune entre les temps, les êtres, les langues, les terres, les mers, les océans.
     
    Les discussions avec ces amis couraient dans des entrelacs de mots, de couleurs, de sons, de silences et de rires, oui de beaucoup de rires. Nos esprits s'enivraient de tirades alambiquées, confuses parfois, mais toujours argumentées.
    Chers amis, je vous soumets ce début d'approche sémantico-poétique qui se veut un plaidoyer irréfutable pour faire entrer et maintenir les livres dans les foyers et, en cela, garantir la liberté de chacun. Dites-moi ce que vous en pensez.
     
    LIRE UN LIVRE, C'EST ÊTRE LIBRE ! 
    Livre et libre sont si proches, qu'il suffit d'une lettre pour changer de mot. 
    En français B et V sont des phonèmes distincts, ils peuvent occuper les mêmes positions et leur changement donne un autre mot. On peut prendre également comme exemple, bol / vol, cuve / cube.(4)
    Il en va autrement en hébreu où le "B" (Bet) et le "V" (Vet) sont la même lettre qui se prononce différemment, selon son emplacement dans le mot. On peut la comparer au "L" français que l'on retrouve dans "peuple" et dans "libre". Prononcez ces "L" à haute voix, la position de la langue dans la bouche n'est pas la même. Ces deux sortes de "L" sont des allophones, c'est-à-dire des variantes d'un même phonème.(4) En hébreu le "B" et le "V", bien que la même lettre, ont une légère différence dans leur écriture. La première porte un point en son centre, un point fort, et se prononce B. La seconde se trouve après une voyelle ou à la fin du mot, elle est sans point et se prononce V. À noter que Bet découle d'un hiéroglyphe en forme d'un dessin d'enfant d'une maison. Intéressant, n'est-ce pas ?
    Mais pourquoi, me direz-vous, parler de l'hébreu alors qu'il est question du français ? Parce que cette langue est liée à notre alphabet moderne. L'hébreu est une langue sémitique, tout comme l'arabe. Son alphabet est issu de l'araméen qui vient de l'alphabet cananéen-phénicien qui lui même vient d'un alphabet né de la rencontre d'au moins deux civilisations : la cananéenne et l'égyptienne. Les Phéniciens qui étaient des commerçants, sillonnaient la Méditerranée. Les Grecs empruntèrent leur alphabet qui s'est ensuite transmis aux Etrusques, le peuple qui était présent en Italie avant les Latins…(5) 
    J'en conclus que s'il y a un lien entre les alphabets, il y en a forcément un entre les langues et que, donc, en français également les lettres B et V peuvent être les mêmes lettres.
    On peut ajouter que livre désigne originellement la pellicule entre le bois et l'écorce extérieure sur laquelle on écrivait avant la découverte du papyrus.(6) Du latin liber. On passe ainsi aisément de livre à libre. Si je pousse la fantaisie en enlevant le "L" de livre, nous trouvons IVRE, qui inversement donne RIVE, l'autre bord où vous êtes à présent, mes amis.
     
    Je les imagine. Bernard reste un moment silencieux. Par quelle citation va-t-il se lancer à son tour ? Il analyse tout d'abord le B et le V de son propre nom, sépare les mots : Bernard Van de Wiele. Sa liberté à lui était de pouvoir jouer sur scène un personnage qui s'appelle Bernard Van de Wiele ! Il l'avait trouvé dans "Olivetti 82", une pièce théâtre de Eriek Verpale. Une belle pirouette pour un psychanalyste ! Il commence : "Je ne peux pas dire comment ça a commencé. Et puis, il y a déjà si longtemps. Dix ans. Ils prétendent que ça fait dix ans. Je ne sais pas. Vous devez vous rappeler, qu'ils disent : une chose pareille, ça ne s'oublie tout de même pas comme ça…".(7) Serge a été professeur d'arabe. Il se met à clamer un poème soufi, dans la langue originale évidemment ! Les sons se marient au ciel bleu, le temps se froisse et nous nous retrouvons habillés de la longue robe des derviches tourneurs. Lionel le Vosgien, qui aimait les arbres et travaillait le bois, sourit, de ce sourire qui désarme même les plus avertis, pendant que Pascal, barbe broussailleuse joue une suite de Bach, puis nous appâte avec un morceau de Claude François avec qui il avait travaillé. Bernard et moi pensons immédiatement aux Claudettes. Nos yeux brillent. Pour ça oui, qu'on aime bien les Claudettes !
    Il nous faudra passer le fleuve un jour de pluie. Ce sera fini des ruelles, des manteaux, des portes et des bonjours.
    Nous n'irons plus ni à la ville, ni à l'étable, mais dans l'odeur des pommes et des souvenirs. Nous voyagerons les yeux clos, le cœur savant, dans l'amitié des écorces et de la prescience de la lumière.
     
    À l'ogive des temps, nous contemplerons celui qui nous fut compté et sa source.
     
    Alors, nous aborderons d'autres sources(8)
     
    *
    Nous avons assez longtemps caressé l'écorce, assez longtemps conversé avec la chair d'aubier. Dans l'épaisseur de la matière et de la nuit, les ailes se déploient.
     
    Nous arrivons au cœur de l'arbre.
     
    Navires des chemins de sève, oublions nos savoirs et lestons nos souffrances. Ce qu'ils savent nous est enfin donné.
     
    Nous ne tenons à rien. Nous n'avons rien à rendre sauf la lumière et ceux qu'on aime pour une autre lumière et ceux qu'on a aimés.
     
    Comment croire que la vie se tient là où l'ombre même n'a plus la place de se glisser ?(9)
     
    André Cohen Aknin
     
    (1) Un été avec Montaigne de Antoine Compagnon a été le livre de chevet de Bernard à l’hôpital. Editions des Équateurs / France Inter, 2013.       
    (2) Récital donné en avril 1991 au Radeau Caf' Conce - MJC Polygone de Valence.
    (3) Poésie à Bretelles - La Joconde et Si-Ya-Ou de Nazim Hikmet, 1989. Affiche de Serge Bigoulet sous le pseudo Édian.
    (4) L'hébreu biblique en 15 leçons de Sophie Kessler-Mesguich. Presses Universitaires de Rennes, 2008. 
    (5) L'Alphabet expliqué aux enfants de Marc-Alain Ouaknin. Le Seuil, 2012. 
    (6) Dictionnaire historique de la langue française, sous la direction de Alain Rey.
    (7) Le début de Olivetti 82 de Eriek Verpale, Editions Lansman. Bernard m'avait demandé de le mettre en scène. Pour cela, il avait commencé à apprendre le néerlandais, proche du flamand, la langue de sa région d'origine. Il ne faisait rien à moitié.
    (8) Propos de vieilles femmes - VI, de Monique Domergue. Avec une sculpture de Jean-Paul Domergue. Editions Jacques Brémond, 1992.
    (9) Propos de vieilles femmes - XVIII.

  • J'écris au fond de mon lit

    Lettre d'un colporteur-liseur N°34
    "J'écris au fond de mon lit" de André Cohen Aknin
    Les textes cités sont tirés de "Le banquet silencieux", Paul Vincensini, Ed. Culture et Pédagogie. Et "Manifeste sur l'amour faible et l'amour amer" de Tristan Tzara 
     
    J'écris au fond de mon lit.
    La faute à ce foutu vaccin. Toute une nuit à délirer, à prendre des cachetons. Des images incroyables passaient dans ma tête. J'étais sur un navire marchand à cuisiner des cookies, moi qui n'ai jamais fait le moindre gâteau. J'engueulais ma voisine madame Lombard, alors que je lui voue une admiration sans limites. Imaginez une vieille dame avec un chapeau à fleurs dans son jardin chaque matin. J'essayais d'entrer dans une baignoire avec une chambre à air de camion, celle qui me servait de bouée lorsque j'étais enfant. À côté de moi, un homme se débattait. Je pensais à un des migrants morts en mer du Nord, il y a deux jours, mais non, c'était un Bosniaque, l'ouvrier avec qui je travaillais il y a belle lurette. Puis d'un coup, mes autres compagnons d'atelier sont apparus. Il y avait Jean le contremaître que rien n’étonnait, le roi de l'épure. Roger le trublion, toujours un mot pour rire, expert en scie circulaire et en coup de fourchette. Pierre au traçage. Fallait pas se louper avant d'envoyer les bois chez le toupilleur.
    Quand ils me voyaient avec un bouquin, ils tiquaient. Ils n'étaient pas contre, mais ils ne voulaient pas que notre singe, le patron, s'en aperçoive et les soupçonne de parler littérature au lieu de bosser.

    Longtemps, j'ai lu pour me remplir, pour découvrir et pour frimer auprès des filles, jusqu'à ce que ça devienne une habitude, un besoin, un refuge. J'avalais tout ce qui me tombait sous la main, avec, au début, une prédilection pour Dostoïevski, Camus et son théâtre, Hermann Hesse avec son "jeu des perles de verre", Zola pour son "ventre de Paris", un peu de Giono. J'entrais dans leurs mondes. Je m'en rassasiais, comme si j'avalais ces plats copieux que l'on sert dans les restaurants d'ouvriers.

    Où sont mes compagnons aujourd'hui ? J'aimerais tant échanger avec eux. Je sortirais les mots cachés dans mon bleu de travail, au moment de la gamelle, et leur dirais que la poésie dense, épurée, discrète, parfois débridée, un peu folle, n'est pas une parole de bois tendre poussé à la va-vite, rempli d'aubier et désagréable à travailler, non, qu'elle est un bois de la meilleure espèce, chêne, noyer, palissandre, coupé à la bonne lune et séché sans hâte à cœur, où chaque ligne donne sève à un meuble, comme à une phrase.

    Je citerais  Emmanuel Hocquart et leur dirais que "c'est au contact de la poésie que j'ai peu à peu réappris à lire". (1) Oui, chers compagnons, la poésie permet de lire autrement, de cheminer comme bon vous semble. Il y a certes le style du poète, mais vous n'êtes pas obligé de le suivre, vous pouvez vaquer au bord des phrases, vous arrêter sur un simple mot, qui, à l'instant où vous le croisez, contient le monde entier. Vous pouvez aussi vous retrouver face à de larges espaces qui semblent vides mais qui, en réalité, ne le sont pas. Je pense aux intervalles d'André du Bouchet que je prends pour des pistes de danse.

    Vos mains d'ouvrier sauront caresser l'aspérité des voyelles et le lisse des consonnes. Vous découvrirez que les vers courts sont des épines bleues et que l'octosyllabe possède une peau flétrie. Quant aux vers libres, ils feront de vous des équilibristes. Excellent pour la pose des planches de rive à huit ou dix mètres de hauteur.

    Je leur parlerais volontiers de mon masseur-magnétiseur de Montélimar. Pour le voir, il faut traverser une épicerie, contourner l'étal de légumes, longer le comptoir réfrigéré avant d'accéder à une petite pièce sur cour. Cet homme lit les corps, comme s'il tenait un livre. Sans rien lui dévoiler, il sait tout de nos stigmates, de notre vie.

    La poésie naît d'une source et devient source. Elle donne parfois l'impression de retrouver quelque chose ou quelqu'un que nous avons connu, il y a fort longtemps. Une voix ancienne, d'avant notre naissance et, peut-être, celle d'un jumeau intra-utérin disparu.

    Je leur dirais aussi, qu'avec la poésie, ils apprendraient à aimer, même mal.
    Je suis le seul débout
    Tous mes amis sont là assis
    Ils me sourient
    Avec leur beau regard
    Car je suis encore en retard
    Mais la table
    Je ne dis rien
    Mais je l'ai bien vue
    Mais les quatre pieds de la table
    Sont à deux doigts
    Au-dessus du sol
    Ne pas leur faire de peine
    Fermer les yeux
    M'asseoir près d'eux (2)
    S'ils ont encore un doute, je leur demanderais de se rapprocher d'un poste à ondes courtes et de s'abreuver pendant des heures d'affilée des voix nasillardes de stations lointaines, de Macao à Vancouver, en passant par Dakar et São Paulo. Ils pourraient ainsi trouver la porte au bout de la douleur dont parle Louise Glück.

    Si ce n'est pas le cas, alors ils pourraient s'essayer à l'écriture. Je leur conseillerais pour débuter (dans la bonne humeur) de faire un poème à la manière dadaïste. La table d'épure de l'atelier conviendrait parfaitement.
    Pour faire un poème dadaïste
    Prenez un journal.
    Prenez des ciseaux.
    Choisissez dans un journal un article ayant la longueur que vous comptez donner à votre poème.
    Découpez l'article.
    Découpez ensuite avec soin chacun des mots qui forment cet article et mettez-les dans un sac.
    Agitez doucement.
    Sortir ensuite chaque coupure l'une après l'autre.
    Copiez consciencieusement
    dans l'ordre où elles ont quitté le sac.
    Le poème vous ressemblera. (3)
    Aux infos de midi, j'apprends que le virus Covid aurait de nouveau muté du côté de l'Afrique australe et qu'à nos vaccins d'aujourd'hui, il faudra peut-être en ajouter d'autres. J'en conclus que j'écrirai de nouveau au fond de mon lit.

    André Cohen Aknin
     
    (1) Cité dans un "Nouveau monde, Poésies en France 1960-2010", Editions Mill&unepages Flammarion, à propos des Editions Oranges Export Ltd (1969-1986)
    (2) Le banquet silencieux, Paul Vincensini - tiré de "Toujours et Jamais" - Ed. Culture et Pédagogie)
    (3) Extrait du Manifeste sur l'amour faible et l'amour amer. Tristan Tzara (1920)

  • Au seuil du monde

    Lettre d'un colporteur-liseur N°33
    "Au seuil du monde" de André Cohen Aknin
    Les textes cités sont tirés de "L'iris sauvage", de Louise Glück, Editions Gallimard, mars 2021
     
    J'ai lu le recueil de Louise Glück "L'iris sauvage"(1) dès sa parution en France, fin mars. Cette vision sur la nature, cette interrogation sur le monde à travers une simple brindille me surprenait. Puis j'ai laissé le recueil mûrir à mon chevet, cueillant de temps à autre quelques mots, jusqu'à ce qu'ils s'insinuent en moi. J’ai écrit quand je me suis aperçu que mon dessus de lit devenait vert tendre.
     
    Avec "L'iris sauvage", Louise Glück propose ce qui pourrait être un chemin ; elle le fait de façon naturelle, accessible, à partir de petites choses autour de nous, de ce jardin, de cette nature renaissante en ce début de printemps. Elle est l'herbe qui apparaît juste après la pluie en plein désert, ce vert tendre qui déclenche le sourire. 
     
    Ces petites choses sont les prémisses d'un monde à notre portée. Et l'on se met à chantonner à chaque découverte, comme si c'était la première.
     
    dans le jardin, dans une pluie fine 
    le jeune couple en train de planter
    une rangée de petits pois, comme si 
    personne ne l'avait jamais fait auparavant,
    les grandes difficultés jamais encore
    confrontées ou résolues -
     
    même ici, même au début de l'amour,
    sa main quittant son visage trace
    l'image d'un départ
    et ils se croient
    libres de négliger
    cette tristesse. (2)
     
    Louise Glück montre le seuil et nous dit de nous y attarder. Au seuil du monde, c'est déjà le monde. Il faut y croire et délaisser la tristesse ambiante. S'émerveiller. Oui s'émerveiller. L'écriture est là, dans cette attente. Mais elle nous avertit, tout n'est qu'illusion. 
     
    Une fois que tout me fut arrivé,
    le néant m'arriva.
     
    Il y a une limite
    au plaisir que je prenais à la forme -
     
    En cela, je ne suis pas comme vous,
    Je n'ai pas d'échappatoire dans un autre corps,
     
    Je n'ai nul besoin
    de protection en dehors de moi-même -
     
    Si vous vouliez bien ouvrir les yeux
    vous me verriez, vous verriez
    le vide du paradis
    réfléchi sur terre, les prés
    de nouveau vides, sans vie, recouverts de neige -
     
    puis la lumière blanche
    désormais dans son déguisement matériel. (3)
     
    On peut se poser des questions existentielles : qui sommes-nous, où allons-nous ? La vérité est que nous ne sommes pas plus important qu'une brindille sur le bord d'un chemin. S'il s'agit de se battre - car tel est le travers de notre espèce humaine - ce n’est pas contre la nature que nous devons nous battre. Ne la détruisons pas, elle est notre seul horizon. Il n'y a pas d’échappatoire. Et quand Louise Glück parle de néant, nous faisons le rapprochement avec ce que nous vivons, ces épidémies et toutes sortes de catastrophes naturelles qui se succèdent, toujours plus dévastatrices. Nous sommes dans une spirale et cette spirale nous mènera à notre perte. On croirait entendre Greta Thunberg, la jeune suédoise si médiatique. Toutes les deux, chacune à leur manière, nous somment de réagir.
     
    Louise Glück en appelle à dieu : 
    Comme tu es apparu à Moïse, c’est parce que
    j’ai besoin de toi que tu apparais face à moi (4)
    Elle imagine sa réponse :
     
    combien de fois dois-je détruire ma propre création
    pour vous apprendre
    que c'est ceci, votre punition : 
     
    par un seul geste je vous ai installés
    dans le temps et au paradis. (5)
     
    De nous être imaginés au paradis - dans la Genèse - nous a coupé les jambes. Nous n'aspirons qu'à y retourner. Pas la peine, semble clamer Louise Glück, ce n'est que du vide. Et quand elle dit je, c'est nous. Nous sommes confrontés à notre propre vide.
    Pas je, espèce d'idiot, pas moi, mais nous, nous - vagues
    de ciel bleu comme 
    une critique du paradis : pourquoi
    chéris-tu ta voix
    alors qu’être un
    équivaut à n'être presque rien (6)
    Ce "presque rien" me rappelle Francis Jammes, son poème Prière pour avouer son ignorance : 
    "Je ne sais rien. Je ne suis rien. Je n'attends rien 
    que de voir, par moment, se balancer un nid 
    sur un peuplier rose, ou, sur le blanc chemin
    passer un pauvre lourd aux pieds luisants de plaies…"
     
    Restons humbles. C'est parce qu'on a en tête que tout peut disparaître qu'on peut survivre. Il y a quelque chose de mystique dans cette poésie-là. Le renoncement mène à la lumière.
     
    Cependant, entre les mots et le corps, subsiste un décalage, un doute - après tout, Louise Glück n'est qu'un être humain. Elle cherche le courage, une preuve. Cela prendra un temps infini. 
    Cette preuve, nous l'attendons tous, histoire de s'accrocher à quelque chose de plus "grand", en sachant pertinemment qu'elle ne viendra pas. La lumière est là à notre portée. Peut-être au seuil d'une phrase, alors qu'on se met à guetter chaque mot, chaque signe et à écouter les silences. J'aime m'attarder sur les virgules, ces êtres frêles et si résistants. Leurs respirations sont si changeantes, qu'il faut, à chaque fois, fredonner la phrase entière pour se rapprocher de la musique qu'on a imaginée au début.
     
    C'est une chose terrible que de survivre 
    comme conscience 
    enterrée dans la terre sombre. (7)
     
    La simple conscience ne suffit pas. Il nous faudra remonter vers la source, au rythme de la prière et du regard, puis s'immobiliser, être prêt à recevoir. 
     
    Je voulais demeurer ainsi,
    immobile, comme le monde ne l'est jamais,
    pas au cœur de l'été mais l'instant précédant
    l'éclosion de la première fleur, l'instant
    où rien ne s'est encore passé - (8)
     
    Elle est si surprise de se voir vivante.
     
    Je ne m'attendais pas à survivre,
    me réveiller de nouveau, sentir
    dans la terre humide mon corps
     
    apeuré, oui, mais à nouveau parmi vous
    à pleurer, oui, risquer la joie
     
    dans le monde cru du nouveau monde. (9)
     
    OUI, RISQUER LA JOIE. C'est ce qu'elle nous invite à faire.
    Il me tarde de plonger dans l'autre recueil “Nuit de foi et de vertu” paru en même temps.
     
    La traduction de Marie Olivier, sobre et fluide, nous invite à entendre la musique de la poète. Le texte en américain est en regard sur l'autre page. On peut y plonger à tout moment et, ainsi, garder le tempo original. Les deux langues s'accordent entre mots et corps. Mais Marie Olivier s'efface devant la poésie de Louise Glück dont le souffle est là, profond, qui nous emporte.
     
    André Cohen Aknin 
     
    (1) "L'iris sauvage" de Louise Glück, Editions Gallimard, Mars 2021
          Traduction et préface par Marie Olivier 
    (2) Le jardin
    (3) Fin de l'été
    (4) Vêpres
    (5) Moisson
    (6) Scilla
    (7) L’iris sauvage
    (8) Au seuil de la porte
    (9) Perce-neige

  • Un lit dans l'océan - Nouvelle présentation

    Couv Un lit dans l'océan - André Cohen Aknin copie.jpg

     

     

     

    Un lit dans l'océan
    d'André Cohen Aknin
    roman
    Editions Parole, 2021 
    Collection “Regard d’homme"
    ISBN : 978-2-37586-090-8

     

     

    Ce livre commence par la préparation d'une soupe, une loubia ! Une manière pour le narrateur de se rapprocher de sa mère, une vieille femme juive d’Algérie atteinte par la maladie d’Alzheimer.
     
    Il ne l'a pas vue depuis des mois et lorsqu'il la retrouve, la maladie s'est aggravée. Il est démuni et tente de la faire émerger du brouillard dans lequel elle est enlisée en évoquant sa vie de couturière à Oran, de rapatriée à Paris et, aussi, les plaisirs et les tragédies du passé. Face au silence, il s'accroche à la cuisine, ce lien viscéral qu'il a avec sa mère pour qui chaque plat s'inscrit dans une histoire, une tradition.
     
    Quand elle émerge, ce ne sont que mélopées, phrases éclatées et mots qui se délitent, une sorte de langue imaginaire. Le fils est pris par le rythme, la vibration. Des dialogues étranges surgissent. Puis c'est au tour de la musique arabo-andalouse de l'entraîner dans un tourbillon, de le ramener à l'Algérie, leur source commune.
     
    Un lit dans l'océan est un roman d'amour.

  • Avis lecteurs, presse - extraits - "Un lit dans l'océan"

    • Dégusté comme une datte sucrée, un thé à la menthe pas loin en haut du Suquet, ce texte sensible (mais pas mièvre !) cristallise nos 5 sens : les goûts, les couleurs, les odeurs, les musiques, les cultures juives et musulmanes si proches. La délicatesse et la pudeur avec lesquelles l'auteur aborde des thèmes pourtant difficiles (les césures familiales, la maladie, la guerre...) font de cette lecture un incroyable voyage. (Nath2dragui - Site Babelio)

    • On a l'impression d'avoir les confidences d'un ami ou d'un frère… On se sent très proche du narrateur parce qu'il se livre avec naturel et sincérité, et on est nombreux à avoir mal à nos parents. (Yamina, lectrice)

    • La mémoire individuelle et collective est sans doute le thème central de ce récit écrit avec sensibilité et délicatesse. Il est question de la guerre d’Algérie, d’exode forcé, de nostalgie… 
    On retrouve dans ce roman des thèmes chers à André Cohen Aknin, écrivain et poète : l’attachement à l’Algérie, aux racines, aux traditions, la douleur d’avoir perdu sa sœur et le pays de son enfance. C’est le bilan d’une vie passée à comprendre son sens. C’est aussi le regard lumineux d’un poète qui apprécie le mélange des cultures et qui dresse un pont entre celles de l’Orient et de l’Occident…
    Récit à la fois intime, poétique et humaniste qui peut se lire à plusieurs niveaux. 
    Une mention spéciale pour le soin apporté par l’éditeur à la composition de cet ouvrage qui est aussi un bel objet. (Guy Masson, bibliothécaire)

    • Cette introspection tellement honnête a fait bouger en moi des souvenirs merveilleux et intimes. (Christiane, lectrice)

    • Ce livre est un acte d’amour. C’est comment libérer la vie là où elle est emprisonnée. (Laurent Dupuis. Radio France Alzheimer - Emission "Coup de pouce, coup de cœur")

    • Ah le beau livre ! la douce écriture... qui nous enveloppe chapitre après chapitre dans cette belle image de l'erouv, chapitres tissés les uns après les autres jusqu'à nous faire entrer dans cette demeure-là de l'intime que tu habites avec ta mère. Toi seul, elle seule, parfois vous deux, ainsi la vie, ainsi la mort... qui sait ? En tout cas, tu lui as fait un très très beau lit dans l'océan, un lit au parfum de la loubia… (Monique Domergue, poète)

    • Un très beau roman, tant par ce qu'il dit des relations fils-mère et des liens qui subsistent grâce à la cuisine, à la voix et aux mains, que par la langue dans laquelle c'est dit. (Catherine, lectrice)

    • Un plaidoyer pour les personnes atteintes de la maladie. Oui, il y a des problèmes, les odeurs d’urine et d’excréments, le temps qu’il faut prendre pour les soigner… Mais elles restent des personnes à part entière, qui conservent la vie ! (Tristan Bonhoure - Le Dauphiné libéré)

    • Un roman pour faire sonner les silences. Quand il vous lit un passage, vous y êtes là-bas, à Oran. "Il n'est pas utile d'avoir une quantité de mots. Les silences parfois, suffisent" souffle-t-il… En inventant des personnages, il invite "l'autre" à rentrer dans cet univers. Tandis que lui-même donne "sa" réponse au monde. (Flora Chaduc - Drôme Hebdo "Peuple libre")

    • Le style est poétique et très agréable à lire très agréable à lire. J'ai aimé votre livre; car c'est un hymne à la mère, aux mères, à la terre d'Algérie. C'est un appel à la vie… 
    (Nadia Agsous, écrivaine, journaliste)
    • Le livre d’André Cohen Aknin ouvre des horizons en citant abondamment des chants et des chanteuses aussi dont la plus connue est sans doute Reinette l’Oranaise ; en sorte que son « récit poétique » est aussi un récit musical, au sens où on parle par exemple de « comédie musicale » mais de façon plus secrète et plus intime. Reinette l’Oranaise était d’origine juive puisque fille d’un rabbin de Tiaret, de même Line Monty, dont l’auteur cite assez longuement les paroles, qui étaient un mélange de français et d’arabe :
    « Et on m’appelle l’Orientale
    La blonde au regard fatal… »
    … La mémoire absente de sa mère est finalement pour lui un moyen de retrouver des bribes de leur passé, commun ou séparé. Sans évoquer le témoignage trop écrasant de Proust, il apparaît que la mémoire obéit à des procédures qui n’ont rien de rationnel, et que peut-être même elle les fuit. 
    L’histoire de Juliette pourrait être une sorte de métaphore de ce qui s’est passé dans l’histoire de l’Algérie il y a quelques décennies, un engloutissement dont pourtant, sous une forme presque inaudible, on trouve ici ou là des remontées aussi saisissantes qu’inespérées. Le récit poétique d’André Cohen Aknin ne cherche pas à en faire la théorie, il n’en est que plus convaincant. 
    (Denise Brahimi, Lettre culturelle franco-maghrébine #57 - site de coup de soleil Rhône-Alpes)

    • Ça nous envoie loin dans la matrice… au-delà des étoiles, comme une mélopée orientale à te mettre le cœur en âme. (Juan Antonio Martinez, lecteur - Facebook)

    • La mère est la nourriture terrestre qui porte le parfum d'un pays, d'une histoire. En sa présence végétative, il entreprend un voyage au long cours où il lui faut vaincre des obstacles. Les odeurs, les goûts de la loubia et des plats des fêtes juives d'Algérie concrétisent le chemin sur lequel il entraîne le lecteur avec humour et gourmandise. L'apaisement vient avec le triomphe des sensations, des saveurs de l'enfance…
    La phrase est ajustée dans sa musicalité, souvent proche de l'oral, ce qui donne une présence physique au texte, une résonance vivante…
    On perçoit là tout l'intérêt d'André Cohen Aknin pour le théâtre, pour le métier au sens étymologique du mystère, du travail et de l'artisanat ; il a été menuisier…
    Roman de conciliation, de reconnaissance, d'harmonie. Roman d'amour donc. 
    (Geneviève Briot - Revue "A. Littérature Action" n° 11 juin - septembre 2021)

    • Ce livre est avant tout une invitation au voyage. Entre Orient et Occident, entre terre et mer, entre mère et fils, enfance et (…) vieillesse, entre rêve et réel…
    Il m’a surprise, saisie, désarçonnée, sans pour autant me lâcher.
    Un lit dans l’océan, c’est une curieuse traversée au cours de laquelle le lecteur respire le monde et la vie par petites touches. Des touches colorées et rapides qui créent une œuvre indéfinissable, insaisissable, quasi impressionniste.
    Mais entre les vagues, derrière la brume, se disent les silences, s’expriment et s’expansent la vie et l’amour entre deux êtres qui pourtant semblaient perdus à jamais.
    En dépit de l’Alzheimer de la mère, le fils recrée le lien en retournant dans les profondeurs.
    Une mère qui pousse un fils à une exploration olfactive, gustative et sonore, et l’embarque avec elle pour faire le plus beau des voyages, celui qui emmène vers l’autre et vers soi-même…
    (Anne-Marie, sur le site des éditions Parole)

    • Au-delà du magnifique portrait de Juliette, votre mère, c’est toute la profondeur, la complexité et les paradoxes d’une relation entre une mère qui a traversé les exils et les deuils et son fils. La mémoire, l’oubli, l’annulation du présent, l’énigme du silence et la lente traduction des signes, musique, bribes de mots… quel voyage vous nous livrez là…  (Marie-Claude Egry, écrivaine)

    • Un livre juste. (Haïm Korsia, Grand rabbin de France)

  • Des saveurs et des livres au Bazar de St Martin en Vercors

    "Des saveurs et des livres" au Bazar de St Martin en Vercors,
    par Geneviève Briot

    Du 6 au 12 août 2021 était organisé le Bazar de St Martin en Vercors, à l'initiative de la Cie Cyrène, avec Michel et Jacotte Fontaine : musique, théâtre, danse, lectures, film et chants au fil de la semaine sur le thème Le pain dans tous ses états.

    Nous les Colporteurs, André et Geneviève, avec Naïs, nous présentions une lecture Des Saveurs et des livres, un menu différent chaque jour. Nous étions dans la rue, sous le regard bienveillant de Raymond et Ginette, nos voisins de porte. Nous affichions des poésies comme d'autres accrochent leur lessive, montrant ainsi nos dessous les plus intimes, les poésies qui nous collent à la peau. Les cailloux peints et les tissus poèmes de Naïs montraient le chemin de la place jusqu'à nous.

    Nous présentions nos derniers ouvrages : Un lit dans l'océan, le lien entre une mère et son fils ponctué de saveurs orientales, D'azur et de feu où Josette l'héroïne croque la vie à belles dents.

    Ces extraits étaient ponctués de poèmes de Blaise Cendrars, Mahmoud Darwich, Guillevic, Pablo Neruda, François Cheng, Alain Borne, Paul Vincensini, Jean-Louis Novert et autres boulangers et pâtissiers des mots.

    Avec les Touaregs, nous avons fêté l'eau : "Annoncez que l'eau doit être partagée, annoncez-le à tous les peuples de la terre", tout en accueillant Omar Khayam venu de la Perse du XIIe siècle pour célébrer le vin.

    Notre table était ouverte à tous. Bernard Vandewièle est venu parler de son livre Brigitte l'œuvre à vif, Juan Antonio Martinez a slamé accompagné par Esteban au saxophone, Marie a chanté un poème de Victor Hugo, Cécile a dit La lionne de Jacques Prévert…

    Dans cette période de pandémie où nous avons été privés de lectures publiques, ce fut un plaisir de partager avec des personnes réellement présentes.

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  • De la trempe des Hurlants

    Lettre d'un colporteur-liseur N°32
    "De la trempe des Hurlants" de André Cohen Aknin
    Les textes cités sont tirés de "Tragédie d'une trajectoire", un CD de Casey

     

    C'est à Saint-Martin-en-Vercors que j'ai découvert Casey. Le casque sur les oreilles et la main sur l'écorce d'un tilleul de 423 ans, j’écoute Tragédie d'une trajectoire. Sa voix me prend aux tripes, aux bras, aux boyaux - côté foie. Elle m'emmène dans les méandres d'une langue nouvelle pour moi.
     
    CONNAIS-TU LE CHARBON, LA CHABINE
    LE COULIS, LA PEAU CHAPÉ, LA GROSSE BABINE             
    LA TÊTE GRÉNÉ QU'ON ADOUCIT À LA VASELINE
    ET LE CRÉOLE ET SON MÉLANGE DE MÉLANINE
    CONNAIS-TU LE MORNE ET LA RAVINE
    LE BÉKÉ QUI TRÈS SOUVENT TIENT LES USINES
    LA MACRELLE QUI PASSE SON TEMPS CHEZ LA VOISINE
    ET LE CRACK ET SES DÉCHETS DE COCAÏNE
    CONNAIS-TU LE MONT PELÉ ET LA SAVANE
    LES PÊCHEURS DU CARBET, LE POISSON DE TARTANE
    LES TOURISTES AUX SEINS NUS À LA PLAGE DES SALINES
    PENDANT QUE LA CRISE DE LA BANANE S'ENRACINE
    CONNAIS-TU FRANTZ FANON, AIMÉ CÉSAIRE
    EUGÈNE MONA ET TI EMILE
    SAIS TU QUE MES COUSINS SE FOUTENT DES BAINS DE MER
    ET QUE LES COCOTIERS NE CACHENT RIEN DE LA MISÈRE (1)
     
    Du rap français. D'habitude, je suis plutôt attiré par Fauré, Haendel, Mozart, Alla un musicien de Béchar, Reinette l'Oranaise. La scansion est celle d'un tambour d'une île lointaine ou bien celui d'une vallée africaine - en direct. J'entends le noir de la peau, sa lumière et ses rimes en o.
     
    Je parle au tilleul, lui demande si ce genre de musique le dérange. Il me répond qu'il en a vu d'autres, ses racines traversent les océans, plongent dans les caves, les arrière-salles de bistrots, les terrains vagues, les squats, elles sondent la terre et les corps. 
    L'arbre a oublié les mots de ceux qui sont venus lui parler d'amour, mais jamais de ceux qui lui ont parlé de révolte ; il a connu la résistance face aux nazis, les famines, 1789, Napoléon, la création de la République, la révolte de 48. Lui, tilleul, né de la volonté de Sully, à l'époque de Montaigne, m'a aussi parlé des déportés en Nouvelle Calédonie après la Commune de 70, du Vel d'Hiv et d'Alexandre Marius Jacob, l'anarchiste qui volait les riches pour donner aux pauvres.
    Avec lui, je comprends que le rap est une voix du peuple qui monte quand la douleur est grande, une voix d'outremer, d'outrecœur, d'outrepeau, comme existent les Outrenoirs de Pierre Soulages. 
    Le noir possède toutes les couleurs. 
     
    Casey est une femme de la trempe des Hurlants, ces vents qu'on rencontre sous les cinquantièmes. Pas besoin de naviguer sur les mers du Pôle Sud. La tempête est ici dans nos rues.
     
    ILS VEULENT, ILS VEULENT
    ILS PARLENT, ILS PARLENT
    ILS OUVRENT LEURS GUEULES
    QU'ILS ME LAISSENT TRANQUILLE, PUTAIN J'EN AI RAS LE BOL
    DE CES FAUX VANDALES, VANTARDS, FORTS EN PAROLE
    ILS ME GÊNENT, POMPENT MON OXYGENE (2)
     
    Vrai, c'est fou ce que les gens parlent, veulent ! Y a en même qui ont l'idée de remettre la poésie au programme des Jeux Olympiques. 
    Pas besoin de chercher la médaille. 
    D'autres disent que la poésie est une arme ? Contre quoi ? Les plastiques pollueurs, les vitrines aguicheuses, les contrôles aux faciès, les réseaux sociaux, leurs rumeurs, et ce qui fait de nous des chômeurs ? 
    Ce que je sais, c'est qu'elle a parfois un goût de kebab à la sauce blanche qui salit les bouquins et dégouline sur les manches.
     
    Casey trace sa route, recompose les sons, les mots, l'espace sur la page. Sa poésie, n'est pas à vendre. 
     
    C'QUE J'PENSE OU DIS N'EST PAS À VENDRE
    SI TU CROIS QU'ÇA VA CHANGER
    TU PEUX ATTENDRE (3)
     
    Salut à elle et à tous ceux qui respectent la langue tout en la dynamisant. Je pense à Guillaume Apollinaire en 1917 et avant lui, Rimbaud et, plus tard, les surréalistes ; à Cendrars, voyez ses poèmes dénaturés ; plus tard encore, l'underground des années cinquante avec Ginsberg et son poème Howl dont les "sacrés" bousculent notre quotidien.
    Poètes d'avant, d'après.
    Langues éclatées, devenues anciennes à la seconde même où elles apparaissent. 
    Nouveaux poètes, vous serez rejetés à votre tour. Peut-être même par des dandys shootés à la guimauve. L'un d'eux écrira sur du papier toilette estampillé AB. Car telle la loi du genre : je vis, je meurs.
     
    MA PLUME, MON DIPLÔME, UN BLÂME, UN PROBLÈME
    UN SUPRÊME PROGRAMME HAUT DE GAMME QUI ENGRÈNE
    QUI ENTRAÎNE DÉBRIS DE CRÂNES, DE VITRINES
    CRIMES QUI SE TRAMENT, NITROGLYCÉRINE
    PREMIER ALBUM, JE DÉGAINE, SORS DES ABÎMES
    J'AMÈNE ŒDÈMES ET RÉTAME DES RIDDIMS
    J'ÉTONNE, ON M'ACCLAME    
    JE DONNE MON MOT D'ORDRE ET MON MODEM
    QUIDAM DES DOM SUR LE MACADAM
    DES TONNES D'ULTIMATUM DANS MES THÈMES
    HÉMATOMES DANS MES TOMES À L'ANTENNE ET CARTONNE LE SYSTÈME
    FAIS GRAND SCHELEM POUR VICTIMES DES HLM
    VU QU'PANAME EST TELLE GOTAM, TAM TAM ET COCKTAILS (4)
     
    Je ne comprends pas tout. Est-ce dû à mon âge ? Je suis un enfant, je suis un vieil homme. Ce n'est pas qu'avec les mots qu'on saisit. Là, il y a un sens, ça vient de loin. J'entends âme dans quidam, macadam. Une force d'âme, de celles qui traversent les montagnes. Nous en avons tant besoin aujourd'hui. 
     
    Prendre le flow de Casey et se laisser emporter. Le sourire vient aussi de l'ébranlement.
     
    André Cohen Aknin
     
    Les textes de Casey sont tirés de la pochette de son disque "Tragédie d'une trajectoire". 
    (1) "Chez Moi" (Casey-Laloo). 
    (2) "Mourir con" (Casey / Laloo)          
    (3) "Pas à vendre" (Casey - Hery)
    (4) "Suis ma plume". (Casey / Soul G)