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Geneviève Briot, André Cohen Aknin, Bleu 31 - Page 6

  • ELLES RIENT

    "Elles rient" de André Cohen Aknin
    À propos de "D'azur et de feu - Sept visage de Josette Duc" de Geneviève Briot, publié  par Bleu 31. 
    Article paru dans la revue A LITTÉRATURE ACTION N° 9 Octobre-décembre 2020

     

    I - LES DEUX FEMMES
    De mon enfance en Algérie, je garde des rires de soleil. Ils éclairent ma mémoire. C'est également le cas du rire de Josette et de Geneviève, le jour de la photo de la quatrième de couverture. Ce n'était pas un rire bruyant, ostentatoire, mais un rire plein, plein comme un corps entier, un corps de femme, plein comme un poème, un poème-rire.
    Elles riaient aux éclats, assises sur le canapé ; elles riaient d'être ensemble, de pouvoir se regarder, se parler. On aurait dit des adolescentes, même si l'une a 90 ans et l'autre presque 80. Josette est fille de menuisier ; Geneviève, fille de boulanger. Qu'ont-elles en commun ? D'être des femmes, d'être curieuses, d'avoir de l'intérêt pour les autres et une inébranlable volonté d'être libre, libre dans leur manière de penser et dans leur corps. Elles ont aussi le besoin insatiable de lire et celui d'écrire. Josette a beaucoup écrit sur ses carnets de voyage, Geneviève est écrivaine. Elles ont aussi en commun d'avoir enseigné. Josette était institutrice et Geneviève, professeur de français.
     
    Elles se sont rencontrées à un cours d'anglais. Josette y racontait volontiers ses voyages et ses découvertes. Peu à peu, leur relation s'est renforcée. Elles parlaient surtout de littérature, de spiritualité. Les photos de Ramana Maharshi et de Bruno Gröning affichées dans l'appartement de Josette impressionnaient Geneviève. Aujourd'hui, ces sages font partie de sa vie. Josette, elle, a espéré, la veille de sa mort, pouvoir rejoindre ces deux êtres dans l'autre monde.
     
    En 2017, un recueil de poésie de Geneviève est publié (1). Elle dit ne pas avoir d'autre projet. Mais il se passe ce qui se passe dans la vie d'un écrivain : l'impérieuse nécessité d'écrire qui vous tombe dessus sans crier gare. Le jour de la fête des 90 ans de Josette, Geneviève lui propose d'écrire sa vie. Une vie de passion, si pleine, si libre qu'elle ne se sentait pas faire autrement que d'en témoigner. Josette dans sa robe égyptienne paillée de fils dorés, acquiesce : "Si c'est toi, j'accepte."
     
    Écrire à partir d'entretiens, Geneviève l'a déjà fait pour Un livre à la mer (2), à partir d'interviews de personnes en lien avec l'Algérie. Elle ressort son magnétophone, prépare une foule de questions, avec la fièvre qui la caractérise, et se rend chez son amie.
     
    Les informations s'accumulent. Josette ne raconte pas chronologiquement, elle confie des anecdotes, passe de l'une à une autre, revient sur les précédentes. Il y a des ellipses. Difficile parfois de s'y retrouver.
     
    Les deux femmes conviennent que tout ne devra pas être publié. Il ne faudra pas non plus broder, inventer pour combler les vides. Josette parle de l'enfant qu'elle a été, de l'adolescente rêveuse et déterminée, de ses voyages, de ses rencontres, de sa vie d'institutrice, de son mari anarchiste. Josette partage les valeurs de fraternité et liberté des anarchistes sans adhérer au mouvement. Elle croit aussi en la solidarité sans adhérer à un parti, en la spiritualité sans entrer dans une religion instituée. Elle puise dans toutes sortes d'enseignements religieux et plus particulièrement dans les spiritualités orientales.
     
    Josette a aimé d'amitié ou d'amour des gens hors du commun. Vivre pour elle, c'était découvrir et aimer. Elle se souvenait avec émotion de sa passion amoureuse pour le vieil anarchiste libertaire Alexandre Marius Jacob. On entendit son témoignage sur France Culture en avril 2019, lors d'une émission sur ce personnage. Durant l'interview, Josette lut des extraits de lettres de Marius. Sa voix rayonnait comme celle d'un rire.
     
    On découvre dans le livre, pourquoi Josette n'a pas eu d'enfant. C'est une douleur. Isabelle devient au fil du temps sa fille spirituelle.
     
    Les choses se précipitent. Josette apprend qu'elle a un cancer. Elle suit un traitement. Mais celui-ci ne donne pas les résultats escomptés. Josette console ses proches, prépare méticuleusement son départ, donne tout ce qu'elle possède de son vivant. Geneviève héritera "naturellement" de son bureau.
     
    Quand Geneviève lui a présenté les premières épreuves de "D'azur et de feu", Josette a refusé de les lire, disant qu'elle avait bien d'autres choses à lire avant de s'en aller.
     
    Geneviève sent l'urgence, travaille d'arrache-pied. Elle souhaite montrer à Josette le manuscrit fini avant qu'il ne soit trop tard. Geneviève y met un point final, le jour où Josette est hospitalisée.
     
    Le lien entre les deux femmes est fait de rires, d'un profond respect et d'une admiration l'une pour l'autre, d'une joie, d'un fil d'âme, si l'on peut dire.
     
     II - LE LIVRE, LES SEPT VISAGES DE JOSETTE DUC 
    Avec "D'azur et de feu", on découvre la vie d'une Romanaise née à Châtillon St Jean dans la Drôme en 1927 et décédée en 2019 à l'âge de 91 ans. Josette Duc a vécu dans sa petite maison rue Sylvain Marmier, construite par son père, menuisier. Elle a épousé Robert Passas de Bourg de Péage en 1950. Robert était anarchiste, libertaire et poète. Josette, elle, était anti conventionnelle, spontanée, littéraire. Ils sont devenus enseignants, d'abord à l'Institut Thérapeutique Éducatif et Pédagogique de Geyssans, puis trois ans au Maroc. Ils sont revenus ensuite dans la Drôme. Ils aimaient enseigner et l'ont fait avec ferveur.
     
    Au fil du récit, on découvre plusieurs visages de Josette. On rencontre la désirante, l'amoureuse, la femme libre, la femme blessée, la voyageuse, la tisseuse de liens, la mystique. Elle est toute en un. Le livre s'organise selon ces sept visages, avec une introduction "Sous le signe de l'amour", sa famille, ses parents.
     Puis suivent huit chapitres :
    1) La désirante : Elle désire, elle veut ou ne veut pas. Elle a une force de vie.
    2) L'amoureuse : On découvre ses pulsions d'adolescente, puis ce fut la rencontre de Robert. Il est poète. Ils sont libres dans leurs amours et pourtant fidèles l'un à l'autre. La poésie, la littérature les unissent. La jalousie n'a pas cours.
    3) La femme libre : Josette fut le dernier amour d'Alexandre Marius Jacob, "l'honnête cambrioleur" du titre du livre de Jean-Marc Delpech son biographe. Il a fait 22 ans de bagne, fut libéré en 1927, l'année de la naissance de Josette. C'est Robert qui a rencontré le vieil anarchiste, qui s'est pris d'amitié pour lui et s'est réjoui devant l'amour de Marius et Josette. Il a écrit : "Elle tomba dans l'hiver de Jacob comme une branche d'avril". Il a 74 ans, elle en a 27.
    4) La voyageuse : Elle participa au Service Civique International pour aider les plus démunis, en France et à l'étranger. Elle voyagea souvent, parfois en autostop, pour aller voir des amis, par soif de découverte, pour se ressourcer spirituellement (USA, Croatie, URSS, Mali, Algérie, Turquie, Israël, La Dominique, l'Inde… et aussi le Transsibérien).
    5) La femme blessée : Robert et Josette vont vivre 20 ans ensemble, puis Robert s'en va. Le titre "D'azur et de feu" vient d'un poème de Paul Eluard "Je fis un feu, l'azur m'ayant abandonné". Blessures physiques et morales. Ce qui la faisait le plus souffrir : les séparations, la mort de ses proches.
    6) La tisseuse de liens : Josette est curieuse de tout, va de stage en stage, de rencontre en rencontre. Elle a des relations, des amitiés avec des gens hors du commun : le militant Louis Lecoin qui s'est battu pour la reconnaissance du statut d'objecteur de conscience ; un thérapeute japonais Itsudo Tsuda ; François Malkovsky, danseur élève de Isadora Duncan ; Madhury, une mystique ; Igor Reznikoff avec qui elle fait du chant grégorien ; Georges Krassovsky qui parcourt le monde à bicyclette et milite pour la paix ; Victor Lebrun, ami de Tolstoï ; Marcel Body, le secrétaire de Lénine ; Jeanne Humbert, une Romanaise libertaire qui s'est battue pour les droits des femmes (elle a une rue à Romans-sur-Isère). Sa relation amoureuse avec Hans (Jean Mermoux) durera 19 ans.
    7) La mystique : Elle se ressource à différentes spiritualités, celle de jeunes Hongrois relatée dans "Dialogues avec l'ange", des saints chrétiens : Ste Rita, Ste Marie-Madeleine, St François d'Assise. Elle s'initie à L'évangile selon Thomas, non reconnu par l'Eglise. Elle est fascinée par les conférences de Pierre Ganne, jésuite exclu par l'autorité pontificale du fait de son non-conformisme. Elle fait partie d'un groupe Douglas Harding, philosophe mystique anglais, suit l'enseignement de Bruno Gröning, guérisseur spirituel allemand. Elle va à des rencontres avec Amma, avec un yogi indien, avec Frère John Martin moine hindou et chrétien et, surtout, avec son maître spirituel, Ramana Maharshi. Son voyage en Inde à l'ashram de R. Maharshi confirmera son attachement à ce sage.
    8) Le huitième chapitre "D'azur et de feu" montre la plénitude d'une vie. Il y a son dernier amour avec René. Elle a alors 80 ans, elle pensait que sa vie amoureuse était terminée. Tout ce qu'elle a vécu se concrétise là : sa générosité, son amour des autres, son amour de la vie.
     
    Le récit est composé à partir d'écrits propres à Josette Duc et d'entretiens que Geneviève a eus avec elle. Leurs écritures se sont liées comme un tissage de laine et de soie, dit Claudia, une lectrice.
     
    III - LA FABRICATION DU LIVRE
    La mise en page a été réalisée par Colombe de Dieuleveult, une amie de Josette. Elles se sont rencontrées au moment où Colombe réalisait une thèse sur Alexandre Marius Jacob. Son travail de graphiste apporte beaucoup à la lisibilité, à l'organisation du livre et au traitement des photos.
    L'illustration est de Jean-Luc Boiré, qui ne connaissait pas Josette, mais qui fut séduit par son histoire.
    L'écriture, la mise en page et l'illustration ont été offertes, comme si un courant bienveillant passait entre ceux et celles qui participaient à ce livre. J'y ai pris ma part dans la relecture du manuscrit.
     
    IV - GENEVIEVE BRIOT, L'ÉCRIVAINE, LA POÈTE
    Pour découvrir la vibration de l'écriture de Geneviève, au-delà de ses romans, de ses récits et de ses pièces de théâtre, il faut plonger dans sa poésie. Car cette femme est une poète. Sa poésie oscille entre épaisseur et transparence, s'insinue entre peau et chair, puise dans le tréfonds de notre oubli, nous fait brûler de désir, nous rappelle qui nous sommes et le vaste monde qui nous attend. Avec elle, nous devenons caillou, oiseau, bruissement d'un feuillage, fontaine de son village natal de Lorraine, le bleu de Fra Angelico, un hêtre du Vercors, le sable roux du Grand Erg Oriental qu'elle a tant aimé et un marcheur d'un cortège clandestin (3). Avec elle le dimanche habille son regard de lilas (4).
     
    Je l'ai imaginée dans le désert d'Algérie, la peau tannée par le soleil, les mains teintes de henné et le regard brûlant pour les hommes et les femmes de Ghardaïa, à l'orée du désert. Elle est tombée en amour pour cette terre qui lui a inspiré plusieurs ouvrages (5).
     
    Geneviève est une amoureuse de la langue française et le Grevisse est sa bible.
     
    Paul Vincensini est son initiateur en poésie. Ils ont partagé la joie profonde de dire à haute voix. Il l'a entraînée dans le torrent de la poésie d'Alain Borne. Il faut entendre Geneviève dire les poèmes de ce dernier pour saisir sa passion pour la poésie.
     
    Les mots tenus à la crinière deviennent des notes de musique dans un souffle charnel et puissant. Ecoutez un poème d'elle, tiré de Météorites (6) :
     
    Tes mots chuchotés
    je les crie contre les murs
    me reviennent en pleins désirs
    et me mettent à genoux.
    Je ne demandais que ton corps
    où enfouir ma folie
    je ne demandais qu’un peu de ta bouche
    où puiser le rêve que je respire.
     
    Ta vie m’est un silence libre et profond.
     
    Je deviens surface gelée du lac
    les chiens me marchent dessus
    sans que je bouge un cristal.
     
    Ma vie est à claire-voie sur l’obscur.
     
    Le poète Guillevic ne s'y trompa pas lorsqu'il écrivit pour la 4ème de couverture de ce recueil que "la poésie de G.Briot… est plus originale qu'elle peut paraître au premier abord. Une originalité profonde : d'âme si j'ose dire. Il me plaît que ce soit une poésie de femme avec tous les attributs de femme : la sensibilité, la sensualité. J'aime beaucoup cette sensualité affirmée."
     
    Guillevic est un poète qui a compté, qui compte toujours pour Geneviève. Elle l'a rencontré à Rochessauve en Ardèche lors d'un événement poétique. Elle est restée en relation avec Lucie, sa femme. Je retiens chez Guillevic la densité de ses textes, sa capacité à provoquer et saisir les déséquilibres.
     
    Geneviève a aussi rencontré Andrée Chedid, devant qui nous avons dit le poème "Il y aura ceux qui s'aiment"(7). Ce texte montre à lui seul la manière dont nous disons ensemble. J'écrirai bientôt une Lettre d'un colporteur-liseur où j'en dirai quelques mots. (8)
     
    Un autre poème d'Andrée Chedid résonne chez Geneviève : "Femmes de tous les temps".

    Femmes de tous les temps
    Ancestrales et pourtant fraternelles
    Lointaines et pourtant proches
     
    Elles viennent à notre rencontre
    Ces Femmes d’un autre âge
     
    Dans la pulpe éphémère de leurs corps
    Dans la beauté d’un geste périssable
    Dans les brefs remous d’un visage neuf ou vieilli
     
    Ces Femmes immémoriales
    à travers argile et pierres
    écartant les écorces du temps
    Se frayent passage jusqu’ici.
     
    Hors du tréfonds des siècles
    délivrant l’esprit
     
    Non plus femmes - objets
    Mais objets devenus Femmes
     
    Elles lèvent échos paroles
    et questions d’aujourd’hui. (9)
     
    Un feu entre femmes nous parvient à travers les âges. C'est pour cela que la rencontre de Geneviève et Josette Duc ne m'a pas surpris.
     
    D'autres poètes l'ont aidée à avancer, à parfaire son écriture, à aller vers d'autres horizons.
    Il y a François Cheng, cet émigrant qui choisit la France pour sa langue et qui est devenu académicien. C'est l'un de nos grands poètes. Geneviève a correspondu avec lui lors de la sortie de son recueil Un caillou qui pense oiseau. François Cheng est un poète transcendant, présent dans les infimes choses de la vie. À l'esprit et au corps, il ajoute l'âme, ce fil qui relie toutes choses dans l'univers, y compris nous. Ses mots, leur musique, leur graphie, leur marche, nous entrainent et nous rendent la joie des origines. On tient ses mots comme on tient un attelage céleste.
     
    Geneviève est assez réservée. Ce n'est pas elle qui fera un grand discours pour amuser la galerie. Ça ne l'empêche pas de s'enthousiasmer pour un livre, un auteur. Le dernier est Roger-Paul Droit, avec son "Comment marchent les philosophes".
     
    Pour Geneviève, l'écrit, c'est la vie. Elle le disait déjà dans son premier recueil "Basalte" :
     
    Je dérive sur des heures ignorantes
    je respire au jour le jour
    et mon crayon fou
    rêve de mistral
    parle de miel roux.
    Mais je n'y suis pour personne
    j'écris pour faire semblant de vivre
    je vis parce que j'écris.
    Je ne suis qu'un caillou qui suinte
    Un caillou qui pense oiseau
    et qui parle caillou.
     
    Voici la femme qui a écrit "D'Azur et feu".
    Cet azur et ce feu, ce sont aussi elle

    (1) - Un caillou qui pense oiseau. L'Autre incertain Editeur, 2017.
    (2) Un livre à la mer. Récit paru en 2003 aux Editions Marsa.
    (3)  "Jabbaren", tiré de Un caillou qui pense oiseau. 
    (4) "Sérénité", tiré de Basalte, Edition La Coïncidence, Guy Chambelland. Librairie Pont de l'Epée, 1982.
    (5)  L'appel du sud, roman, Edition Marsa - Najib, l'enfant de la nuit, L'Harmattan jeunesse - Un livre à la mer, Edition Marsa.
    (6)  Météorites, Editions Supervie, 1987.
    (7)  Tiré de Textes pour un poème, 1949-1970. Andrée Chedid, Editions Flammarion.
    (8)  Depuis mars 2020, ne pouvant plus donner de lectures de poésie de vive voix, j'adresse de temps à autre, par courriel, des Lettres d'un colporteur-liseur directement à des personnes, comme si je leur donnais un texte à l'oreille. Quelques mots et des textes de poètes, de ces hommes ou de ces femmes volants pour qui le temps ne compte pas et qui savent avant l'heure. Les lettres sont également sur le blog : http://briot-cohenaknin.hautetfort.com.
    (9)  "Femmes de tous les temps" - Fraternité de la Parole. Andrée Chedid. 

  • Il y aura ceux qui s'aiment

    Lettre d'un colporteur-liseur N° 26
    "Il y aura ceux qui s'aiment" de André Cohen Aknin
    Poèmes cités : Il y aura ceux qui s'aiment et Jeunesse d'Andrée Chedid. 

    La salle des fêtes d'un village près de Montélimar. Aucun projecteur. Les spectateurs sont une cinquantaine. Nous sommes loin des pays d'Orient où la poésie attire la foule. Nous échauffons nos voix et répétons les enchaînements, car rien n'est acquis dans la diction d'un poème, chaque lecture peut vous mener à la joie ou au précipice.
     
    *
     
    Cela commence par un silence. 
    Les mains le long du corps attendent le frémissement qui irradie les bras puis le haut du torse, provoque un léger tremblement. 
    C'est le signal.
    Une voix se fait entendre, claire, cadencée, celle d'un d'homme. Tout est là dans les deux premiers vers. La voix retient son souffle, puis roule sans arrêt sur le chemin de pierres que sont les italiques ; elle parle de temps, d'année après année et d'oliviers mangés de soleil et de patience.
    Il se tient à la porte. 
    Survient la voix d'une femme, sobre, lumineuse. 
    Ils pourraient se tenir côte à côte, profiter de la présence de l'autre. Mais il est pressé, il veut prendre sa place. Sa place ! lance-t-il.
    Elle acquiesce en écho : oui, prendre sa place. 
    Ils passent d'une voix à l'autre, d'une voix dans l'autre. Un fil de soie les relie, d'un noir insaisissable, celui des peintres pour qui le noir flamboie, modifie l'espace, ouvre une porte vers l'indicible.
    Elle s'inquiète pour ceux qui s'aiment. 
    On entend le hurlement de loups, le cri âcre des méfiants. On ressent la fièvre.
    C'est elle qui dit la première le cri qui fait trembler les murs. Le cri pour protéger ceux qui s'aiment. Ses éclats sont des flèches qui repoussent les corps ennemis.
    Il retient sa voix en contre-chant. Il aurait pourtant envie d'appuyer chacune des syllabes, "à cause de la vie, à cause de la mort", avec en tête l'écriture et le néant. Il ne la quitte pas des yeux, elle qui s'inquiète. Ceux qui s'aiment sont en danger, qu'il soient d'ici ou d'ailleurs, de Bali, de Vancouver, des steppes de Mongolie, de Sydney, de Dakar la rouge ou du Caire dont les murs gardent le souvenir d'Andrée Chedid, l'auteure du poème.
    À son tour, il dit :
    J'ai crié, j'ai chanté.
    Le chant est là qui les entoure d'un voile. Leurs yeux pétillent, alors qu'ils se rapprochent et que leurs voix s'unissent au dernier vers. 
    Bientôt, ce sera au tour de leurs mains, de leur corps tout entier. Flammes épanouies. Ils ne se chercheront plus.
     
    Il y aura ceux qui s'aiment
    Debout devant ma porte je les attends
     
    Il y en a qui veillent année après année
    Comme des oliviers mangés de soleil et de patience
     
    Moi j'ai franchi le seuil je guette la route
    Et je sais qu'ils viendront
     
    Dans la maison les appels se nouent
    "C'est assez d'attendre
    Il faut prendre sa place
    Comme les autres comme les autres
    Autour d'une table de bois
    Il faut prendre sa place
    La vie est comme cela
    Grain de sable
    Or qui tinte
    Fil de soie"
     
    Ensuite celle qui m'habite comme une prune trop ridée
    A dit "J'ai peur pour ceux qui s'aiment
    Quelle menace portent-t-ils au cœur l'un pour l'autre"
     
    Elle a dit "J'ai peur pour ceux qui s'aiment
    Le cri âcre des méfiants les tourmente
    La voix cuivrée des loups
    L'envie avec ses lèvres de malade"
     
     
    Mais j'ai crié plus fort que l'emmurée
    Pour ceux qui n'ont eu que les songes j'ai crié
    Pour ceux qui n'ont que le jeu
    Pour cette tour où l'écho se fracasse 
    Aux murs ronds de la solitude
    Pour le silence des mal-aimés
    Enfoui en lui-même comme en un puits
     
    À cause de la vie          à cause de la mort
    J'ai crié plus fort que l'emmurée
     
     
    J'ai crié
    "Avant que les villes ne s'écroulent
    Avant que l'ombre des arbres ne traverse
    Le fleuve comme des cordes
    Aussi sûr que le soleil et sa mort se défient
    Il y aura ceux qui s'aiment 
    Et je ne me chercherai plus"
     
    J'ai crié j'ai chanté
    "La magie à leur doigt
    Dans leurs veines des rivières de fête
    Ils iront intouchés comme des rois de nulle part
    Leurs regards se croiseront au-dessus des voix"
     
    J'ai crié j'ai chanté
    Et devant la maison il y avait eux et moi (1)
     
    *
     
    "Il y aura ceux qui s'aiment" est un poème emblématique pour Geneviève et moi. Un texte où nos voix vibrent en échos, se chevauchent, en appels, les yeux ouverts sur des pages couvertes de signes, à la manière d’une partition de musique. 
    Chaque syllabe est une caresse. 
    Chaque phrase, un corps qui se courbe.
    Nous donnons ce texte comme si nous partagions une pomme d'amour, le croquant à l'extérieur et la douceur légèrement acidulée en dedans. 
    En le lisant, nous sommes dix, vingt, trente, mille.
    Mille, comme le titre de notre première lecture "Le monde a mille voix". Nous ne savions pas, alors, jusqu'où la voix pouvait nous mener.
    Une vibration de chaque instant.
    Un lien avec celui ou celle qui nous accompagne, des musiciens parfois.
    Un lien avec ceux qui nous écoutent. N'est-ce pas le plus important ?
    Il arrive qu'un auteur nous apparaisse en songe. 
    Le jour de notre rencontre avec Andrée Chedid fut un enchantement. Il fallait entendre la voix de cette femme, légère et si puissante. Elle nous demandait de rester des hommes et des femmes libres, fiers de nos origines, de ce que nous sommes, de nos langues. Son écriture est un appel au dépassement, à la vie. Son "Appel à la jeunesse" en témoigne : 
     
    Tous les appels du monde 
    te traversent jeunesse !
     
    Tu enfantes le feu (2)
     
    Si sa poésie peut être un acte de fureur, à l'instar de celle de René Char, elle est avant tout un acte d'amour. Elle a peur pour ceux qui s'aiment. 
    Moi aussi, j'ai peur pour ceux qui s'aiment. J'ai griffonné les premiers mots de cette lettre au printemps dernier, en pensant à ceux et à celles que le confinement éloignait.
     
    (1) "Il y aura ceux qui s'aiment" - Textes pour le vivant, 1953 - Textes pour un poème (1949 - 1970). Andrée Chedid. Editions Flammarion.
    (2) "Jeunesse" - Poème pour un texte (1970 - 1991). Andrée Chedid. Editions Flammarion.
  • Brigitte, l'œuvre à vif

    L'œuvre à vif.jpeg

    Article de Geneviève Briot
    À propos de "Brigitte l'œuvre à vif" de Bernard Vandewiele.
    Photos de Philippe Petiot Editions l’Autre incertain. 2020

    Le livre se lit comme un conte qui narre les épreuves de héros à la recherche d’un trésor nommé lumière. Quand on l’a ouvert, on ne le lâche plus.

    Suivons le chemin de Brigitte Nêmes, une petite fille, détectée autiste, sevrée d’affection du fait de l’absence familiale et d’une hospitalisation excessive et castratrice. Quand elle a sept ans, elle prend la main qui lui est tendue, c’est celle de l’infirmier Bernard qui, sous la demande insistante de l’enfant, finit par devenir, avec Germaine sa compagne, famille d’accueil, puis son tuteur.

    Brigitte, l’œuvre à vif est la visite guidée par son mentor Bernard Vandewiele sur le long cheminement de Brigitte vers son ouverture au monde. 

    Tous deux se battent, chacun à leur manière, côte à côte et l’un contre l’autre, elle crie sa détresse par mutilations et aboiements ; il  tâtonne, reconnaît ses échecs, met à mal sa vie personnelle. 

    Quand Brigitte approche la trentaine, elle commence à peindre. Elle en vient à jeter ses émotions sur la toile. C’est une révélation. Elle peut parler avec les formes et les couleurs, et aussi avec les mots des intitulés des tableaux : La colère - casser la vitre, Fin de mes crises d’hiver, Je vois ça avec mes yeux, Moi ça va mieux je ne fais plus pleurer Bernard, Je suis allée écouter le spectacle de danse à la salle des Cordeliers avec les autres…

    L’émotion qui nous étreint à la lecture de ce livre vient, sans doute, de la sincérité du propos de Bernard et de la sensibilité des toiles de Brigitte qui nous traverse.  

    Devenu psychanalyste, Bernard Vandewiele guide le lecteur à travers les tableaux de la peintre qui exprime son moi le plus intime, sombre et tourmenté, où surgissent des éclats de lumière, où s’ouvrent des portes.

    On pense à ces mots du poète Jean Tardieu : “J’aime toutes les couleurs parce que mon âme est obscure”. 

    Sur les toiles, on est saisi par l’éclat des couleurs qui ont une fraîcheur d’enfance. Elle a une palette bien à elle et elle s’en explique :

    Le rouge pour consoler, du jaune quand ça va mieux, le vert pour ne plus être triste, le bleu quand je suis contente, du blanc ça veut dire que je suis joyeuse.

    Avec la peinture je suis jamais déçue.

    Après une vingtaine d’années de pratique, elle quête toujours le regard de Bernard, son témoin privilégié ; elle quête aussi le regard du spectateur à qui elle transmet ses états d’âme avec le souci d’y mettre de la joie. Le dernier tableau du livre intitulé La première question traduit un bel élan de vie.

    Elle réalise ses tableaux avec une spontanéité étonnante, son pinceau ne tremble  pas ; elle s’affirme en posant sa signature en noir comme un sceau d’authenticité. Les yeux de ses toiles nous disent :

    Moi Brigitte, je vous regarde

    Regardez-moi.

  • Chant du bossu joueur de flûte

    Lettre d'un colporteur-liseur N° 25
    "Chant du bossu joueur de flûte" de André Cohen Aknin
    Œuvres citées : Poème des Indiens Hopi, Salut à Walt Withman de Fernando Pessoa.
     
     
    Chant du bossu joueur de flûte.jpg
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
    Quitana-po, quitana-po, quitana-po
         quitana-Po !
    Ai-na, qui-na-oueh, qui-na-oueh
    Tchi-li li-tcha, tchi-li li-tcha
    Don-ca-va-qui, mas-i-qui-va-qui
    Qui-ve, qui-ve-na-meh
    HOPET ! (1) 
     
    Depuis que j'ai mis en bouche une à une les syllabes du "Chant du bossu joueur de flûte", je n'arrive pas à m'en défaire. Et c'est tant mieux. Ça m'apporte un peu de joie dans ces matins où la radio nous assomme de chiffres du fait de l'épidémie et de l'économie défaillante.
     
    Quitana-po, quitana-po, quitana-po
         quitana-Po !
    Quitana-Po !
     
    Comme un talisman face à la morosité.
     
    Tiens, je respire un peu mieux. J'arrive à souffler dans ma flûte - mon corps - le souffle est court, un roucoulement. Je deviendrai une tourterelle à succès sur une chaîne youtube le jour où mon petit-fils me donnera le feu vert.
     
    Ai-na, qui-na-oueh, qui-na-oueh
    Tchi-li li-tcha, tchi-li li-tcha
     
    Une information sur le terrorisme - hop le chant du bossu - Une information sur des élections - hop le chant du bossu. 
    L'idée est de ne pas sortir du monde, mais bien au contraire de le pénétrer au plus profond, en faisant résonner un chant ancien. Un chant des origines. "Le chant du bossu joueur de flûte" est un poème des Indiens Hopi. Une poésie à part entière. Parce que "la poésie, à l'instar du langage, existait de partout", depuis toujours, "aussi puissante & même aussi complexe … que dans ses développements les plus tardifs". "Elle n'apparaissait pas comme un luxe, mais comme une véritable nécessité"(2). 
    Pour un temps, nous n'avons que faire du regard occidental et de cette actualité. Laissons parler nos tripes. 
     
    Don-ca-va-qui, mas-i-qui-va-qui
    Qui-ve, qui-ve-na-meh
    HOPET !
    HOPET !
    HOPET !
    HOPET !
     
    Avec HOPET ! on entend hourra ! C'est vrai que nous attendons avec impatience un vaccin, comme la panacée, la chose qui réglera tout. Mais n'est-ce pas un leurre ? Guérir n'est pas effacer, mais vivre avec. Ne rien oublier. Comme revenir au premier chant, à cette première écriture dans le souffle de son ancêtre. 
     
    À LA JOIE AUSSI.
     
    Pour cela, il faudrait pouvoir s'arrêter, s'isoler, revenir vers soi, trouver le temps de se rattraper avant le coucher du soleil, comme dit le proverbe, avant de repartir de plus belle dans le quotidien. C'est ce qu'a fait mon ami Serge, un ancien légionnaire, qui a séjourné à Damas, avant de s'installer dans la Drôme et en Ardèche dans un vieux fourgon. Il n'a pas fait les choses à moitié cet indien. "Il me fallait me rassembler, a-t-il écrit, je venais de si loin… Je n'ai rien trouvé de mieux, que de passer cinq ou six ans à vivre dans un fourgon, complètement isolé, sans même une radio…". Un homme qui avait le plaisir du verbe. Lorsque nous nous retrouvions, c'était une farandole, nous jouions avec les mots. Il était probablement à la recherche de son chant. Il l'a peut-être entendu, puisqu'il est sorti de son fourgon. Je l'ai vu surgir la tête enneigée un soir de lecture avec des amis, en décembre 2007. Il venait de sortir de son isolement.
    Joie des retrouvailles et promesse de nous revoir. Hélas trois semaines plus tard, un automobiliste l'a percuté et tué sur une route à trois voies.
    Il ne m'a pas parlé de son dernier chant, mais en entendant "Le chant du bossu joueur de flûte", j'ai su que c'était lui.
     
    Quitana-po, quitana-po, quitana-po
         quitana-Po !
    Don-ca-va-qui, mas-i-qui-va-qui
    Qui-ve, qui-ve-na-meh
    HOPET ! 
    HOPET !
     
    *
     
    Avec Serge, nous parlions parfois très tard dans la nuit. Il nous fallait notre quota de mots. J'avais peur que ce sentiment de liberté ne résistât pas au matin. Alors, je n'avais pas les mots de Fernando Pessoa qui, à la lecture du poète américain Walt Whitman avait écrit "Ode maritime et autres poèmes", mais je les espérais, comme un corps qui donne un son profond, un son de flûte, un son d'avant les mots.
     
    Ouvrez toutes les fenêtres !
    Arrachez toutes les portes !
    Tirez la maison entière par-dessus moi !
    Je veux vivre libre dans les airs,
    Je veux avoir des gestes en dehors de mon corps,
    Je veux courir comme la pluie le long des murs,
    Je veux être foulé comme des pierres sur les routes,
    Je veux aller, comme une chose lourde, jusqu'au fond des mers,
    Avec une volupté qui est déjà loin de moi !
     
    Je ne veux pas de serrures aux portes !
    Je ne veux pas de fermetures aux coffres !
    Je veux m'intercaler, m'immiscer, être emporté… (3)
     
    (1) Chant du bossu joueur de flûte, Indiens Hopi. Les techniciens du sacré, anthologie de Jérôme Rothenberg. Version française par Yves di Manno. José Corti Editeur. 2007.
    (2) Pré-face de l'édition révisée (1984). Les techniciens du sacré.
    (3) Salut à Walt Whitman, extrait, Fernando Pessoa (Alvaro de Campos). Tiré de Ode maritime et autres poèmes. Editions Orphée / La différence. © Editions Christian Bourgois pour le poème Salut à Walt Whitman

  • J'aime lire sur un banc

    Lettre d'un colporteur-liseur N° 24
    de André Cohen Aknin
    "J'aime lire sur un banc"
    Textes cités : Inédit et Le sourire de l'absente de André Cohen Aknin
     
    J'aime lire sur un banc. Tout comme aujourd'hui où je tiens un livre de poésie. C'est un petit ouvrage composé sur une linotype où les mots ont quitté les rondeurs de la plume pour se transformer en plomb, avant de s'étaler sur un papier vélin très agréable au toucher. J'imagine le typographe, les narines irritées par l'odeur de chauffe, tapant sur son clavier, suivant à l'oreille les rouages de la machine, en espérant qu'elle ne tombe pas en panne, parce que ces bécanes ne sont pas faciles à réparer. 
     
    Mon premier geste est de me rendre à la fin du bouquin, à l'endroit du colophon. J'aime découvrir la patte de l'imprimeur. Y a-t-il son nom, la date, le type de papier et son grammage ? A-t-il ajouté s'il sort d'une cure de raisin, s'il a été traversé par une inspiration soudaine ou s'il a dû emmener son chat chez le vétérinaire et que, pour cela, il a dû interrompre le tirage ?
     
    La patte du lecteur, quelle est-elle ?
    Sur la première page de garde du livre de poésie, j'ai noté au crayon le nom d'une femme à qui ce livre pourrait plaire et quelques mots sur un silence qui, durant une poignée de secondes, m'a coûté. Un trait de silence qu'habituellement, j'apprécie.
    J'ai tout inventé pour 
    rompre le silence
    Juste une langue à boire
    Terre nouvellement recouverte
    de goudron
    son odeur
    Revers
    d'un livre
    sur une étagère qui va du salon jusqu'à l'égouttoir
    J'ai rincé deux épis de blé 
    et m'en suis servi comme fanions de détresse (1)
    On était loin du silence épais, dantesque même, du jour où j'ai assisté, à Lyon, à la finale du championnat du monde d'échecs entre Karpov et Kasparov. J'étais accompagné de Christian, un ami menuisier, géomètre, fabricant de matelas, coureur à pied, fin lettré et chanteur de chansons révolutionnaires. À chaque coup sur l'échiquier, je l'entendais chuchoter :
    C'est pas de la couille de loup !
    C'est pas de la couille de loup !
     
    Voir de tels champions ne laisse pas indifférent. Ce que je garde également, c'est qu'on pouvait suivre la partie sur un écran. Une toile couvrait l'arrière-scène. Des lettres et des chiffres dansaient. Les deux champions racontaient une histoire que je lisais par écran interposé. Je n'avais plus besoin d'une revue ou d'un livre-papier pour suivre la partie. J'étais pourtant, jusque-là, un inconditionnel du papier. Il me fallait avoir un bouquin en mains chaque jour, en plus de mon carnet de notes. Aujourd'hui, j'ai les deux : papier et écran ; un I Pad est posé près de mon bol de café.
     
    Le livre est un espace où l'on raconte une histoire, où l'on transmet une découverte, un savoir, des souvenirs. La chose n'est pas nouvelle. Il suffit d'observer les gravures rupestres dans les grottes et à flanc de collines, les bas-reliefs babyloniens, les idéogrammes chinois sur des tablettes de bois, les hiéroglyphes égyptiens, les vitraux, les tentures, les signes tracés au sommet des montagnes, les graffitis sur les murs des usines désaffectées, les rêves peints sur les écorces par les aborigènes. Le mot livre ne désigne-t-il pas originellement la pellicule entre le bois et l'écorce extérieure sur laquelle on écrivait avant la découverte du papyrus, du latin "liber", comme l'indique le Dictionnaire historique de la langue française, sous la direction d'Alain Rey ?
     
    Alain Rey dont on vient d'apprendre la disparition. Je salue ce grand Monsieur, que je côtoie d'une certaine façon depuis de nombreuses années. Je plonge dans ses dictionnaires comme un enfant à la recherche d'une étincelle, d'une trouvaille. Je ne suis jamais déçu.
    pas à pas viennent les mots leurs enchaînements 
    leurs  enchevêtrements leurs inventions en même 
    temps que leur destruction 
     
    glisser dans les anfractuosités ah piocher dans
    l'effacement trouver le fil qui ne rompra pas
     
    chaque mot possède un silence
    l'écouter (2)
     
    (1) Inédit. André.
    (2) Extrait de Le sourire de l'absente, André Cohen Aknin. Editions L'Atelier du Hanneton, 2012.
     

  • Mon livre pèse

    Lettre d'un colporteur-liseur N° 23
    "Mon livre pèse" de André Cohen Aknin
    Poèmes cités : Sur la robe elle a une corps et  Tu es plus belle que le ciel et la mer de Blaise Cendrars
     
    Ce matin, mon boucher a soupesé mon steak avant de le jeter sur la balance. Il annonce 200 grammes tout rond. La balance lui donne raison. Un fortiche mon boucher ! Suis-je capable d'en faire autant ? Combien pèse le livre que je suis en train de lire ? Environ une livre. Drôle ça, un livre d'une livre ! Peser est chez moi une marotte. Quand j'habitais dans le Nord et que le charbonnier vidait ses grands sacs de boulets dans ma cave, je me demandais combien chacun pouvait peser. Cinquante kilos et plus. À la fin, je nous servais ce que j'avais sous la main. Je me souviens d'un pâté de grives et d'un Muscadet pas piqué des hannetons. 
    Question poids, il y a quelqu'un qui s'y connaissait : Blaise Cendrars. Cet homme avait une conscience profonde des corps, de leur enveloppe, de leurs mouvements, de ce qu'ils dégagent. Il écrit dans Sur la robe elle a un corps :
     Mes yeux sont des kilos qui pèsent la sensualité des femmes (1)
        Et dans Tu es plus belle que le ciel et la mer :
    Je sors de la pharmacie
    Je descends juste de la bascule
    Je pèse mes 80 kilos
    Je t'aime. (2)
        Tout se pèse.
        Tenez, prenez la poésie d'Alain Borne, une poésie de lumière et de désir, jusqu'à la brûlure. Eh bien, elle me laisse en bouche un goût d'amande caramélisée ; et les amandes, on en achète une grosse poignée, 250 - 300g. Les mots de Léopold Sédar Senghor dégagent, quant à eux, une impression de chocolat noir légèrement amer ; ils ont été nourris du chant de Marône la poétesse de son village - une tablette par lecture. Il y a aussi cette terre rouge du Sénégal emportée sous les ongles des esclaves passés par l'île de Gorée ; ça fait quoi 1-2 grammes qu'on multiplie par le nombre d'hommes, de femmes et d'enfants par traversée, à raison de tant de traversées par an, pendant des dizaines et des dizaines d'années… Chez Barjavel, j'entends le bruit du plateau de la balance quand le boulanger pèse ses pâtons. Je mange à mon petit-déjeuner un quart de baguette, pas plus, soit 50 grammes environ. Avec Andrée Chedid, on aperçoit des kilos d'étoiles, même en plein jour. À première vue, les ellipses d'André du Bouchet laissent un lecteur perplexe, mais avec le temps, elles valent leur pesant de cacahouètes ; et je m'y connais en cacahouètes, j'en ai récolté des journées entières. Pessoa, lui, laisse une toute autre impression, il vous fait comprendre que vous n'êtes qu'une pierre qu'on lance en l'air. Elle pèse combien celle qu'on glisse dans un lance-pierre ? 
     
        Il y a autre chose qui pèse, eh sacrement en plus ! Ce sont les envies. Je me souviens d'une envie de livre, un album de Tintin, qui appartenait à Germain, un camarade de classe, un patos qu'on disait en Algérie. Je n'en avais jamais lu. Il m'avait fallu négocier d'arrache-pied pour pouvoir le lire à la récréation. Ça m'avait coûté un Blek le roc, deux agates et j'ai dû laisser Germain jouer avec mon boulard de verre qui, quand on le lançait, donnait l'impression de tout dévaster sur son passage. Il pesait quoi mon boulard, 50 grammes peut-être.
     
        J'ai assisté à une vente de livres au poids. Étrange, comme impression. Il y certes le poids réel du papier et du carton, le poids des mots, c'est-à-dire leur impact. Mais a-t-on déjà calculé le ratio entre le poids physique d'un auteur et le nombre de mots qu'il a écrit ? Dans ce cas, quelle valeur donner à ce résultat ? À mon avis, la seule balance qui compte est la relation intime entre l'auteur et le lecteur. Et ça, ça n'a pas de poids. On dit aussi : ça n'a pas de prix. Mais, c'est une autre histoire…
    Le corps de la femme est aussi bosselé que mon crâne
    Glorieuse
    Si tu t'incarnes avec esprit
    Les couturiers font un sot métier
    Autant que la phrénologie
    Mes yeux sont des kilos qui pèsent la sensualité des femmes
    Tout ce qui fuit, saille avance dans la profondeur
    Les étoiles creusent le ciel
    Les couleurs déshabillent
    "Sur la robe, elle a un corps"
    Sous les bras des bruyères mains lunules et pistils
    quand les eaux se déversent dans le dos avec les 
    omoplates glauques
    Le ventre un disque qui bouge
    La double coque des seins passe sous le pont des arcs-en-ciel
    Ventre
    Disque
    Soleil
    Les cris perpendiculaires des couleurs tombent sur les cuisses
     
    ÉPÉE DE SAINT MICHEL
     
    Il y a des mains qui se tendent
    Il y a dans la traîne la bête tous les yeux toutes les fanfares 
    tous les habitués du bal Bullier
    Et sur la hanche
    La signature du poète (1)
     
    (1) Blaise Cendras. Sur la robe elle a un corps. Février 1914. Tiré de "Dix-neuf poèmes élastiques". Editeurs : Denoël, puis Gallimard. - (2) Blaise Cendrars. Tu es plus belle que le ciel et la mer. Extrait.

  • Comment les livres sont entrés dans ma vie

    Lettre d'un colporteur-liseur N° 22
    "Comment les livres sont entrés dans ma vie" de André Cohen Aknin
    Textes cités :  La rencontre des hommes, de Benigno CACÉRÈS,  "Mes livres" de Jorge Luis BORGES
     
        Quand j'étais enfant, nous avions à la maison le journal local "L'Echo d’Oran", des romans-photos que se partageaient les femmes, des magazines de mode que maman utilisait pour son travail, elle était couturière, de petits calendriers où étaient transcrites phonétiquement des prières, des livres de classes et de rares beaux livres que mon frère aîné avait reçus en guise de prix. Leurs couvertures décorées m’impressionnaient. Moi, j'étais plutôt accro aux illustrés, particulièrement quand les héros étaient des trappeurs : Blek le roc, Kiwi.
     
        À Paris, les choses changèrent ; avec l'arrivée en métropole, je quittais l'enfance et les illustrés. J'ai commencé à lire des petits livres d'aventure. Je le faisais discrètement et cela me contentait. Les "livres de grands", quant à eux, sont entrés dans ma vie de manière détournée. Pour être plus précis, la première fois, je les ai volés. C'était sur un tourniquet à l'extérieur d'une librairie, rue de Tolbiac. Mon idée était de les vendre pour jouer au billard. Avec Guy et Bernard, des camarades de lycée, nous jouions à dix centimes le point. Ça n'a pas été difficile avec ma gabardine ; à l'endroit de la poche, une fente traversait la doublure et je pouvais ainsi glisser les bouquins sous mon pull. Le hic était que je ne les avais pas choisis. Il y était surtout question de philo. Je les ai proposés à la sortie du lycée, mais je n'en ai vendu aucun. Je n'avais plus qu'à regarder mes camarades jouer au billard. Au bout d'un moment, je me suis lassé et je suis allé m'asseoir un peu plus loin. Le patron du bar était un chic type, il ne nous obligeait pas à consommer. Mais je m'ennuyais ferme. Si bien qu'il arriva ce qui devait arriver, je me suis mis à lire. Les quatrièmes de couverture. On ne peut pas dire que La Phénoménologie de l'esprit de Hegel avec ses "figures successives que peut prendre l'esprit" m'emballait. J'aurais préféré des conseils pour séduire une fille. 
     
        Un petit bouquin se distingua des autres : "La rencontre des hommes" de Begnino Cacérès. Cette fois, je ne me suis pas contenté de la quatrième de couverture. L'auteur explique son apprentissage de menuiserie au début des années 1930, il parle de la misère et de l'incertitude du lendemain. À cette époque, il n'y avait aucune garantie d'emploi, on pouvait être débauché n'importe quand. Il parle aussi, de son appétence pour les livres. Il avait, au début, honte d'entrer dans une librairie, à cause de son large pantalon en velours et de ses godillots ; il pensait qu'un livre touché devait être acheté. Un peu comme nous le faisons aujourd'hui avec ce fléau de coronavirus quand nous touchons un fruit ou un légume sur un étal. Le héros repérait les piles de livres du regard. Il pensait que les plus vendus devaient être les meilleurs. Avec le temps, il apprit à faire attention. Pour lui, lire était une chose sérieuse : 
    Lire, pour moi, écrit-il, ce n'est pas tuer le temps. C'est chercher ce qui me permet de me mieux comprendre ou qui m'explique comment se comportent les hommes qui me sont totalement inconnus, afin que je puisse mieux les connaître.(1) 
        Begnino Cacérès écrit un peu plus loin, alors qu'il a quitté le métier pour son service militaire :
    Maintenant je n'ai plus la fatigue de la journée de travail. Je peux réfléchir pendant les longues heures d'inaction. Au lieu de jouer à la belote comme la plupart de mes camarades, je préfère lire. Livres d'arithmétique, ouvrages scientifiques, littérature classique, je lis tout ce que possèdent mes camarades, j'essaie de faire les problèmes contenus dans le livre d'arithmétique ; il me faut plus d'une heure pour trouver ce qui demanderait cinq minutes pour être démontré et vérifié : cela, je le sens une fois la solution trouvée. L'esprit se rouille, il faudrait avoir le temps de l'entretenir aussi soigneusement que sa caisse à outils.
    Parfois, j'emporte mon ouvrage dans la cour. À me voir faire les cent pas, m'arrêter brusquement l'air soucieux, garder avec mes doigts une retenue, les camarades commencent à croire que je suis un peu fou. Ils en ont la certitude quand je lis à haute voix (il me semble mieux comprendre, mieux sentir, mieux vivre ce qui est imprimé en le lisant tout haut). Aussi quand ils entendent "Au voleur, au voleur, à l'assassin, au meurtrier, justice, juste ciel ! je suis perdu, je suis assassiné, on m'a coupé la gorge, on m'a dérobé mon argent…" ils ne me prennent pas pour Harpagon, mais se demandent ce qui arrive. Pourtant, je sens bien qu'il vaut mieux lire à haute voix.(1) 
     
        C'est peut-être de ce livre qu'a germé en moi l'envie de devenir menuisier. 
     
        Plus tard, j'ai vendu des "troupes", des cigarettes qu'un de mes frères rapportait de sa caserne. Cette fois, ça a marché. J'ai néanmoins continué à lire, en dénichant des bouquins de-ci de-là. Guy et Bernard m'en rapportaient de chez eux. Il nous arrivait même de parler littérature tout en tenant une queue de billard ! J'ai ensuite, chose curieuse, eu plus de succès auprès des filles. J'ai mis ça sur le compte des bouquins. Une raison de plus de poursuivre. Les livres sont rapidement devenus un refuge ; ils sont aussi devenus une manière de me différencier de ma famille. Une première révolte en quelque sorte. À la longue, les livres ont constitué une double vie ; ils vivent un peu chez moi, je vis un peu chez eux.
     
        Voici un poème de Jorge Luis Borges sur les livres, justement.
     
    Cette bibliothèque-là, la mienne,
    ne sait pas que j'existe, mais ses livres
    font partie de moi comme ce visage
    aux tempes grises, aux prunelles grises,
    que vainement je cherche dans la glace
    et que de ma main creuse je parcours. (2)
    Non sans certaine amertume logique
    je pense que les mots essentiels
    qui m'expriment se trouvent dans ces pages
    qui ne savent pas qui je suis, et non
    dans celles que j'ai écrites. Sans doute
    en était-il mieux ainsi. Les voix des morts
    me diront pour toujours.(3)
     
    (1) Benigno CACÉRÈS, La rencontre des hommes, Edition Le Seuil 1950 - (2) Jorge Luis BORGES devenait aveugle à la fin de sa vie - (3) Jorge Luis BORGES, "Mes livres", extrait de la nouvelle Revue Française. 1er mai 1983 - N°364.

  • Un manteau pendu à une ficelle

    Lettre d'un colporteur-liseur N° 21
    "Un manteau pendu à une ficelle" de André Cohen Aknin
    Texte cité : Quelqu’un demandait son chemin de Yves Buin.

    De retour du travail, j'aimais m'asseoir près du vieux monsieur qui habitait en face de chez moi. Un ancien mineur qui tirait sa chaise sur le pas de sa porte sur le coup de dix-huit heures et mangeait sa soupe et, quand il le pouvait, des chicons. Il aimait ça les endives ; il me racontait comment sa mère les préparait avec des lardons, la marmite de fonte sur la cuisinière à charbon. Son charbon ! Trente ans de coron avant de se retrouver sur cette place du Pont Delsaux à Valenciennes, appelé anciennement Le pont du saule. Il y avait là une rivière qui autrefois coulait à l’air libre, du temps de Louis XIV, me disait le vieux. Par la suite, elle a coulé sous du macadam, si bien que par grosse pluie, l’eau remontait dans les maisons. Alors, le vieux monsieur pendait son manteau à un fil qui descendait du plafond. Ça ne le changeait pas de la mine, là-bas, c'était ainsi qu'il faisait.

    On l’appelait Albert.

    Moi, à côté de lui, je susurrais des mots venus de la mer. De la mer du Nord et d'ailleurs. Je transformais la sueur de ma journée à l'atelier en embruns d'une mer amoureuse. Je respirais l'air du large et non pas la poussière et les copeaux de bois qui finissaient par me faire tousser. À cette époque, il n'y avait pas d'aspirateur sur les machines ; à la raboteuse, ça giclait tant et plus.

    On m'a dit que des pêcheurs accrochaient eux aussi leurs cirés au plafond. Un jour, chez moi, j’ai suspendu mon bleu de travail. Mais c’était curieux, on aurait dit une chimère collée au plafond. Je l'ai descendu aussi sec. On n'invente pas le présent sans l'avoir vécu. Je n'ai jamais été mineur, ni pêcheur, juste menuisier.

    Je porte un bleu de travail

    même pour lire

    même pour écrire 

    même pour sortir.

    Avec Albert, on parlait surtout métier. Je racontais le métro, les rames bondées, le coup de gnôle au café avant d’attaquer le boulot, l’atelier dans le quartier Saint-Denis, les bois dans la cour. C’était un temps où je lisais le soir, mais je n'en disais rien. Lui, il racontait comment, au fond de la mine, il boisait les tunnels, les boyaux qu'il disait, avec du bois de fer. Un travail de tous les diables ! Il racontait les bruits des chariots dans le fond, le silence des hommes dans le monte-charge, les gueules noires. 

    Notre conversation se renouvelait : quelqu'un faisait ceci, quelqu'un faisait cela. Et quand l'un de nous se répétait, l'autre feignait de découvrir.

    Yves Buin, poète du petit jour, du crépuscule, nous invite à rencontrer Quelqu’un.

     

    C'était au temps des guitares approximatives,

    du dandysme marginal, 

    du rêve bleu.

    C'était le temps des samedis,

    des matins,

    de la rue de l'Ouest,

    Quelqu'un cherchait sa vie dans les cafés.

    Timide,

    la réserve haletante,

    l'illumination dissimulée,

    fou intérieur,

    dans l'amour de la poésie,

    gaspillé,

    éperdu.

     

    Quelqu'un voulait l'aristocratie

    et la pauvreté,

    l'alcool nocturne de la rue d'Odessa

    et la pureté d'un exil de montagne,

    la sonate subtile,

    et la chanson du métro,

    la page glacée de la revue de luxe

    et les mots jetés à la hâte sur le papier d'occasion,

    la porte océane

    et les pas perdus,

    connaître l'au delà des réalités visibles

    et se promener parmi les artistes féconds,

    les écrivains

    les infréquentables.

     

    Quelqu'un était l'écho de musiques nègres,

    des rejetons barbares de la nuit occidentale,

    sensuels,

    graveleux,

    diamantifères.

    Des noms couraient sur les lèvres

    comme les messagers fidèles

    des inoubliables mélodies,

    des petits miracles,

    à la cour ésotérique du roi Dionysos.

     

    Quelqu'un était sur le bord des incertains,

    dans l'espace inédit,

    les émotions,

    les impuissances,

    les échecs,

    les répétitions,

    choisissant les masques,

    les naïvetés,

    les apparences,

    pour échapper.

     

    Quelqu'un s'occupait des grandes choses de l'esprit.

    Quelqu'un attendait les révélations de l'être

    et regardait du côté des initiés,

    des vieilles âmes,

    des regards d'Orient,

    de ceux qui ne peuvent pas dire.

     

    Quelqu'un ouvrait la porte des silences méditatifs,

    et racontait la caresse trompeuse de l'exotisme,

    les faiseurs embusqués de l'Ultime,

    Car la vérité n'est pas chose simple

    et la poésie petite affaire.

    Trop s'en soucier égare.

     

    Quelqu'un demandait son chemin. (1)

    (1) Quelqu’un - Quelqu’un demandait son chemin de Yves Buin. Orphée Studio, Poésie d'aujourd'hui à haute voix. Présentation et choix d'André Velter. Poésie / Gallimard.

  • Lecture musicale "D'azur et de feu - sept visages de Josette Duc"

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    Lecture musicale à Lascours (Bouches-du-Rhône).

    Avec Pascal Delalée violoniste, Naïs lectrice, Geneviève auteure et narratrice. 

    Sur la terrasse ensoleillée se sont rassemblés une douzaine d'amis de Naïs. Vers le soir, il fait un peu moins chaud. Les places sont espacées pour cause de Covid 19. Les arbres et les plants de tomate font le décor.

    Les acteurs sont en blanc en accord avec la couverture du livre.

    Le violon de Pascal joue une impro où se profile un portrait de Josette Duc, sa vie libre et tumultueuse ; il fait émerger de la gravité d'où rejaillit la joie. C'est l'ouverture.

    Je n'ai plus qu'à être l'amie qui évoque la femme amoureuse, le premier amour pour Robert marié à la poésie. Alors Naïs lit les mots de René Guy Cadou qui les avaient réunis quand ils avaient dix-huit ans et qu'elle récitait encore par cœur 70 ans plus tard :

    Je t'attendais et tous les quais et toutes les routes 

    Ont retenti du pas brûlant qui s'en allait

    Vers toi que je portais déjà sur mes épaules 

    Comme une douce pluie qui ne sèche jamais » 

    Naïs lit les poèmes qui cheminent dans la vie de Josette, en particulier celui de Paul Eluard qui a donné le titre au livre :

    L'azur m'ayant abandonné, je fis un feu

    Elle lit les textes et les paroles de Josette avec ferveur et légèreté. Accordée, j'évoque les différents visages de notre héroïne, la désirante, la voyageuse, la femme blessée, la tisseuse de liens, la mystique. Pascal avec son violon insuffle un supplément d'âme.

    Puis nous sommes en Inde dans l'ashram du sage indien, Ramana Maharshi. Nous chantons le mantra de la montagne sacrée, accompagnées par le violon : 

    Arunachala a / a are om nama shivaya…

    Josette est avec nous. Louis un spectateur la voit à travers nous deux réunies.

    Quelques mots sur René son dernier amour. Pour conclure, Naïs lit trois vers de René Guy Cadou sur le thème musical de Josette : 

    Et pourtant c'était toi dans le clair de ma vie

    Ce grand tapage matinal qui m'éveillait

    Ces astres, ces millions d'astres qui se levaient.

    Quand le violon donne la note de fin, le long trajet de l'archet prolonge pour tous le sentiment ineffable d'avoir rencontré une femme exceptionnelle et qui, par certains côtés, nous ressemble.

    Geneviève