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Confidence pour mon bras droit

Aidez-moi
À lever ce bras droit 
pour faire signe 
et murmurer 
qu'il y a du vent 
sous la peau. 
Une horde est blessée 
dans l’avant-dernière rue, 
la pluie gerce, 
le murmure n'achève rien,
Le silence dans lequel je
lève ce bras droit et l'agite 
est terrible :
en lui toutes les voix 
étranglées se rassemblent 
et forment une cible absente.(1)
 
Je suis content d'avoir trouvé un poème pour mon bras droit. Ça le réconfortera d'être tombé malade. Une rupture de la coiffe. Je lui fais faire des mouvements matin et soir. Il faut dire qu'il est mis à rude épreuve ces dernières semaines avec ces lettres d'un colporteur-liseur. Mes brouillons, je les écris sur des bandes de calque, qu'il faut découper dans un rouleau assez lourd. D’où la manutention. Le crissement du papier sous ma plume me procure une légère excitation.
 
"En lui, toutes les voix étranglées", 
écrit Jean-Christophe Bailly à propos du bras droit. Est-ce à dire que tous les bras ont des choses à dire ? Oui, mille fois oui, car ce n'est pas seulement la main qu'il faut prendre en compte, mais aussi le coude, l'épaule et surtout le supra de l’épaule, l'endroit où l'on emmagasine ce qu'on a oublié, délaissé, entassé depuis des lustres. Un lieu d'outre-mémoire. Une épaule est pour ainsi dire une deuxième main, au même titre que l'intestin est appelé "deuxième cerveau".
 
J'ai remarqué que les tendons de mon bras droit sont de véritables élastiques. Ils se rétractent dès que je les laisse au repos. La gym est obligatoire. Je reprends chaque matin quasiment à zéro : plier, déplier le bras, le tendre vers le haut, vers le bas, les côtés. À chaque fin d'exercice, je lui fais faire des cercles, en le laissant pendre le long du corps. On appelle ça "l'aspirine du bras". 
Au bout d'un moment, je me sens d'attaque. J'ai, disons, suffisamment d'élasticité dans mes tendons, mais aussi dans ma voix, puisque chaque mouvement est accompagné d'une respiration intense. Je peux ainsi m'attaquer à un poème d'une musicalité déroutante : "LE MUSICKISSME", un texte de Blaise Cendrars, dédié à Eric Satie, le compositeur des Gymnopédies. 
Le poète l'a rangé dans les "sonnets dénaturés", alors que je l'aurais bien mis dans ses "poèmes élastiques".
 
Corps en branle, les bras écartés, deux pas vers l'avant, au troisième mouvement, mon bras bat la mesure : "do-ré do-ré do-ré do-ré do-ré…". 50 fois. Je sautille, fais des moulinets.
 

"Que nous chaut Venizelos

Seul Raymond             mettons Duncan

     trousse encore la défroque grecque

Musique aux oreilles végétales

Autant qu'éléphantiaques

Les poissons crient dans le gulf-

     tream

Bidon juteux plus que figue

Et la voix basque du microphone

     marin 

Duo de music-hall

Sur accompagnement d'auto

Gong

Le phoque musicien

50 mesures de do-ré do-ré do-ré do-ré

     do-ré do-ré do-ré do-ré do-ré do-ré 

     do-ré do-ré do-ré

Ça y est !

Et un accord diminué en la bémol 

     mineur

                                                       ETC.!

Quand c'est beau un beau joujou

     bruiteur danse la sonnette

     Entr’acte

     A la rentrée

Thème : CHARLOT chef d’orchestre bat la

     la mesure

Devant

L’européen chapeauté et sa femme 

     en corset

Contrepoint : Danse

Devant l’européen abruti et sa femme

Coda : Chante

Ce qu’il fallait démontrer (2)

 
La prochaine fois, je ferai ma gymnastique directement au rythme des Gymnopédies de Satie. Je gymnopédirai…
 
André Cohen-Aknin (AAKC)
 
(1) Jean-Christophe Bailly, L'Astrolabe dans la passe des Français, Seghers, coll. "Froide", 1973. - (2) Blaise Cendrars, Le musickissme. Novembre 1916. Du monde entier. Poésie / Gallimard
 
Lettre d'un colporteur-liseur N° 14

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